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SIPM-CNT
Entretien avec la CGT-burkinabé
paru dans Afrique XXI
lundi 12 juillet 2004
Interview réalisée au printemps 2003 du secrétaire adjoint de la CGT-burkinabé (CGTB), Tiendrébéogo Richard, à Ouagadougou par le SIPM.
Afrique XXI est une revue trimestrielle qui "a pour but de se faire l’écho d’analyses, d’informations et d’initiatives d’organisations associatives et syndicales qui luttent pour une réelle alternative pour les peuples africains". Contact : afrique21@altern.org
Bonjour Richard Tiendrébéogo, vous êtes le secrétaire adjoint de la Confédération générale du travail burkinabée. Pourriez-vous commencer par nous décrire la situation du pays ?
Bonjour ! Notre pays a connu une succession de régimes démocratiques et de régimes d’exception issus de coups d’Etat. Actuellement nous sommes sous la 4e république, avec la constitution du 2 juin 1991. Nous avons soutenu l’adoption de cette dernière, démocratique quant au fond. Cependant, derrière l’aspect démocratique, se cache un régime répressif. L’assassinat de Norbert Zongo en 1990 n’est que la face émergée des crimes du régime depuis l’avènement du Front populaire, dont Blaise Compaoré est l’un des premiers responsables. Depuis l’assassinat de Thomas Sankara, ce régime a été émaillé de crimes de sang et de crimes économiques. Le Collectif des organisations démocratiques de masse en a établi la liste pour réclamer la justice pour l’assassinat de Norbert Zongo mais aussi pour établir une véritable démocratie dans le pays. La CGTB est à l’initiative de ce collectif et y est très investie. La logique actuelle est uniquement axée sur le maintien au pouvoir coûte que coûte. Voilà pour le décor.
Qu’en est-il de la réglementation du travail ?
Nous avons un Code du travail, qui date de l’indépendance et qui a été revu en 1992. Il est d’ailleurs encore actuellement en train d’être adapté dans une voie encore plus libérale au profit du patronat. Il existe aussi des conventions collectives et des accords d’établissements, conquis grâce à la lutte du mouvement syndical dans son ensemble.
Quels sont les agressions économiques auxquelles vous êtes confrontés ?
Notre pays est entré dans le Programme d’ajustement structurel (PAS) en 1991. Depuis, les privatisations se multiplient, au profit des gens du pouvoir ou des sociétés étrangères qui sont décident de ces privatisations. Les déréglementations du droit au travail accompagnent ce mouvement. La question qui se pose est : comment permettre au grand capital de se passer des lois nationales pour exploiter les richesses. La fonction publique est de même privatisée. En clair, plus de misère pour les travailleurs et les peuples, comme dans les autres pays africains soumis au PAS. Aujourd’hui, une cinquantaine de personnes vivent sur le salaire d’un travailleur. Cela permet d’estimer le caractère dramatique des licenciements qui accompagnent les privatisations.
Pouvez-vous nous présenter votre syndicat, la CGTb ?
La CGTB a été créée le 29 octobre 1988, c’est la plus jeunes centrale du Burkina Faso, et aussi la plus représentative au niveau des délégués du personnel. Elle compte 12 fédérations de syndicats professionnels, une trentaine d’unions provinciales, et son orientation est le syndicalisme révolutionnaire de lutte de classe. Au-delà des luttes corporatistes, nous luttons pour un changement radical en faveur des travailleurs : la lutte quotidienne pour le pain et la liberté se situe dans le cadre de la lutte globale de notre peuple pour son émancipation réelle.
Comment fonctionnez-vous ?
Le congrès se réunit tous les trois, ans, dans l’intervalle il y a les conseils syndicaux. Le congrès réunit le comité confédéral national, organe exécutif entre deux congrès, les responsables des syndicats ou fédérations professionnels, les responsables des unions provinciales, et certains représentants des comités d’entreprise. Le comité d’entreprise est une structure syndicale intermédiaire dans des secteurs où nous sommes trop peu implantés pour constituer un syndicat. En fonction de leur importance, des représentants de ces comités d’entreprise peuvent participer au congrès.
Au niveau professionnel, les décisions sont prises par la base des syndicats. Il y a par ailleurs des regroupements locaux des syndicats, dans les provinces. Dans toutes les provinces, il y a au moins les syndicats de la santé et de l’éducation, où nous sommes particulièrement implantés, qui permettent de constituer une base pour ces unions provinciales. Toutes les questions sont débattues à tous les niveaux, depuis la base jusqu’au CCN, qui est le bureau exécutif des décisions prises par les syndicats.
Financièrement, êtes-vous indépendants de l’Etat et du patronat ?
Pour être autonomes, nous devons être indépendants sur le plan financier. En revanche, il existe des dispositions légales gérant les contributions de sociétés ou de l’Etat au travail syndical. Cela n’influe pas sur l’indépendance du syndicat, car ce sont des obligations légales, qui peuvent s’appliquer à des activités organisées par le syndicat, à l’organisation de congrès... Certains syndicats, en revanche, acceptent des contributions visant à influer sur les décisions et orientations.
La place des femmes dans la société burkinabé est marginale, retrouvez-vous ce problème dans votre organisation ?
Tout à fait. Soulignons d’abord qu’au Burkina, il y a très peu de travail dans l’ensemble : 200000 salariés dans tout le pays, avec une faible proportion de femmes. Cela se ressent nécessairement à l’intérieur du syndicat. Elles sont essentiellement présentes dans le secteur de l’Education et de la Santé. Au niveau de la confédération, elles sont bien représentées dans ces deux secteurs, Nous avons au niveau confédéral une secrétaire chargée des questions de la femme et nous travaillons pour que s’implante dans les unions provinciales des comités féminins coordonnés par les deux responsables au niveau confédéral. Il y a donc un travail qui commence à se réaliser au niveau de la base, pour créer des conditions favorables à la représentation des femmes dans les syndicats.
La formation syndicale semble, à la lecture de votre presse, une préoccupation majeure de la CGTB ? Vous auriez même mis en place un centre de formation ?
La formation syndicale est la base essentielle pour la conscience de lutte de classe. Une commission spécialisée est chargée de la formation syndicale, avec une équipe de personnes ressources, sous le contrôle politique et syndical du comité confédéral. Nous avons également une Ecole démocratique populaire, plutôt axée sur le domaine de l’éducation scolaire, avec des cours du soir pour les enfants les plus démunis.
Qu’en est-il des relations de la CGTB avec d’autres syndicats au Burkina ?
Il y a le pôle combatif du mouvement syndical, ce que nous appelons le collectif syndical CGTB, qui regroupe notre confédération et 7 syndicats autonomes : médias, culture, enseignement de base, trésor, action sociale, etc. Ce pôle se retrouve sur des principes de lutte de classe. Au-delà de cela, nous travaillons sur des bases minimales avec les autres confédérations syndicales, au nombre de 7 au Burkina. Chacune a des revendications différentes. Mais en fait, il n’y a que deux visions du monde, pas 24 : c’est soit le syndicalisme de lutte de classe, soit la collaboration de classe. Sur des revendications essentielles, nous parvenons cependant à des luttes unitaires, comme, en 2001, autour de revendications contre les privatisations liées au Programme d’ajustement structurel. Un certain nombre d’acquis ont été obtenus ; mais dès que la pression se relâche, les acquis ne sont plus appliqués, et seule la pression permet d’en conquérir de nouveaux. Il y a donc bien une unité d’action avec l’ensemble du mouvement syndical burkinabé au-delà du pôle combatif du collectif CGTB.
Par ailleurs, au-delà des revendications syndicales, il y a des revendications générales. Nous sommes impliqués dans le collectif des organisations démocratiques de masse, qui a des revendications politiques touchant à la démocratisation du pays. La gestion de la cité intéresse en effet tout le monde, même si la limite que nous nous imposons est la prise du pouvoir de l’Etat et sa gestion. Prendre et gérer le pouvoir de l’Etat ne peut être la responsabilité de l’organisation syndicale, cela revient aux partis politiques, qui sont les organisations qualitativement supérieures. Ce sont eux qui représentent telle ou telle classe au sein de la société.
Vous pensez donc que le syndicalisme est subordonné au parti politique. Pourtant vous avez une perspective de bouleversement social, puisque vous êtes syndicalistes révolutionnaires ?
Le mouvement syndical peut être un appui mais ne peut pas assumer ce rôle-là. Notre organisation appuiera l’organisation qui se bat pour une amélioration des conditions d’existence des travailleurs et pour une égalité sociale.
Etes-vous, dans ce cadre, indépendant de tout parti politique, ou lié à un parti en particulier ?
Nous ne nous posons pas la question en terme de liaisons. Par excellence, le mouvement syndical est le lieu où se retrouvent toutes les contradictions de classe au sein de la société, où chaque force politique se bat pour imprimer son orientation. A chacune de ces forces de s’imposer, et si le syndicat se dit révolutionnaire cela signifie que les forces révolutionnaires sont prédominantes en son sein. C’est pourquoi on ne peut parler de neutralité, d’indépendance. On ne peut interdire à quelqu’un de militer dans le mouvement syndical en fonction de son appartenance politique, et c’est normal qu’il se batte pour y imprimer son orientation.
On nous reproche depuis notre création d’être liés au PCRV [Parti communiste révolutionnaire voltaïque]. C’est normal, la bourgeoisie se bat pour se maintenir au pouvoir, les forces révolutionnaires se battent pour le changement. Quand nous applaudissons des décisions favorables aux intérêts des travailleurs, si elles sont prises par la droite, on ne nous accuse pas d’accointances avec celle-ci ! Si le pouvoir nous accuse de soutenir le PCRV, cela signifie qu’il n’a pas réussi à nous circonvenir !
L’internationalisme est-il important pour vous ?
Les principe de base du mouvement syndical, comme l’a indiqué Karl Marx, c’est « Prolétaires de tous les pays unissez-vous ». C’est l’affirmation de la solidarité de classe. Du reste, si nous bénéficions aujourd’hui d’un minimum d’acquis, c’est grâce aux luttes antérieures dans le monde entier. En ce qui nous concerne, la répression n’a pas manqué, et nous avons toujours bénéficié de la solidarité de travailleurs du monde entier. En 1997, dans la santé, 16 de nos militants ont été radiés. C’est la pression internationale qui a permis de faire revenir le pouvoir sur sa décision, au bout de deux semaines. Sur ces 16 médecins, 7 étaient les seuls spécialistes du pays dans leur domaine, ce qui en dit long sur le manque de considération des autorités politiques pour le bien public. Mais nous ne sommes affiliés à aucune internationale aujourd’hui. Nous privilégions les rapports bilatéraux, en France et au Canada, et bien sûr ici, avec des syndicats dans pratiquement tous les pays de la sous-région.
Il y a d’autres syndicats de lutte de classes dans la sous-région ?
Il y en a un peu partout, mais leur importance varie. Avec la centrale syndicale des travailleurs du Bénin, nous avons des orientations similaires, il y aussi une centrale au Togo qui est dans une tendance lutte de classes, même s’il y a des différences. Notre travail pour l’implantation d’un syndicalisme de lutte de classes est important, et nous devons le renforcer. Les multinationales rendent d’autant plus nécessaire le travail international.
Le SYNATIC est le syndicat présent dans la presse et les médias, qui fait partie du collectif CGTB, pourquoi n’est-il pas partie intégrante de la confédération, est-ce une volonté de préserver son indépendance ?
Non, il y a des secteurs où il n’y a que des syndicats autonomes, comme l’éducation de base ou l’action sociale. Il ne s’agit pas d’une opposition de principe à s’intégrer dans la confédération, mais plutôt d’une orientation tactique, mais rien n’empêche qu’il considèrent ultérieurement préférable de s’intégrer dans la confédération.
Le SYNATIC est-il un syndicat de branche ou de métier ?
C’est le syndicat des travailleurs de l’information et de la culture, il s’agit donc d’un syndicat d’industrie réunissant tous les travailleurs de ces branches. Il est bien implanté et est d’ailleurs le seul syndicat présents dans ces secteurs.