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Livre : l’accord cadre décrypté
dimanche 15 février 2004
L’accord cadre signé le 10 février entre le SPP et le CILP + CSTP est pour le moins inquiétant. A la loupe...
L’accord cadre signé le 10 février entre le SPP d’une part et le CILP et la CSTP d’autre part semble tout droit sorti de l’escarcelle patronale : « nouvelles contraintes », « nouveaux marchés », développement des « imprimés publicitaires » et des « gratuits » (!), « investissement », etc. Pourtant, il est issu de propositions des organisations syndicales de salariés du livre. Rapporté au rapport de force transparaissant dans la convention collective de 1966...
Il est même considéré comme un progrès par rapport aux moutures précédentes (on n’ose pas imaginer...) et la référence réitérée au cadre paritaire est l’argument massue de ses défenseurs. Qui soulignent également deux points :
– c’est un accord cadre, le détail doit être vu dans les accords qui lui succéderont, donc pas de panique tout dépend de ce qu’on va mettre dans le cadre ;
– c’était ça ou la mort, s’il y avait eu un mouvement social c’en était fait du Livre, les patrons n’attendent qu’une occasion.
A ces arguments, nous pourrons répondre en préambule : si le rapport est tellement en notre défaveur, comment peut-il être envisageable d’obtenir de bons accords particulier dans un cadre général pourri ? ? ? Si nous n’avons pas la capacité d’emporter la victoire par la lutte, quel intérêt aurait le patronat à nous faire des cadeaux ? ? ?
La désagréable impression qui s’en dégage, c’est qu’il s’agit d’un accord de vaincus, alors que nous ne nous sommes même pas battus. Qu’avons-nous à y gagner ? Sauver des miettes qui nous seront de toute façon enlevées puisque nous n’aurons plus aucun moyen de défense ? N’aurions-nous pas perdu l’occasion de nous battre ?
L’accord cadre à la moulinette :
1) D’abord, cette adoption du discours patronal pour parler de la presse montre qui parle, qui est le maître, en renonciation à l’âme syndicaliste de nos métiers. Il y a deux ans, les ouvriers du livre se jetaient dans la bataille contre les gratuits, et cette bataille était aussi une bataille idéologique. Cet accord est révélateur d’un syndicalisme gestionnaire sans aucune vision politique, en rupture totale avec notre histoire, et, nous le pensons, avec ce que nous sommes encore aujourd’hui.
2) La rengaine autour du paritarisme : l’accord admet des reculs historiques, qui signifient de fait la fin du livre, tout en rabâchant toutes les deux lignes la référence au paritarisme : quelle signification a-t-il dans ces conditions ? Alors que le rapport de forces est complètement abandonné au patronat ?
3) Tout est en effet vendu à l’encan. Tous nos principes qui pouvaient, malgré les dérives, faire notre fierté de classe ouvrière organisée : individualisation des parcours, grille des salaires démantelée... Dans ce contexte, le placement n’a évidemment aucune chance de subsister.
4) Tous les éléments sont en place pour la grande restructuration des boîtes de presse : le texte ouvre la voie à un départ massif en préretraite, voire à la liquidation des « inadaptables » : ce qui va mener tout droit à des audits boîte par boîte, et des vagues de restructuration. C’est dans ce contexte offensif que les ex-ouvriers prendront place dans leurs nouvelles qualifications, leur parcours individualisé, leurs grilles de salaires revues (à la baisse !), petits soldats enfin rentrés dans le rang des multinationales de la presse. Déjà, aux JO, le SGG et le préfet évoquent les « acquis » de l’accord cadre pour ancrer leur volonté de baisse des effectifs.
5) Sans parler du reste : le texte est complètement flou ("normal, c’est un cadre"), il fait sans cesse références à des notions qui ne sont pas encore définies. Il projette des discussions « dans un cadre paritaire » : s’il n’y a pas eu de rapport de force pour l’accord cadre, si on nous dit que nous n’avions pas la force de lutter, comment pourrait-il en être autrement pour les négociations qui suivront ?
Le patronat de combat du XXIe siècle aura-t-il raison de la combativité historique des ouvriers du Livre, des acquis de nos prédécesseurs ?
Les derniers partiront demain en retraite tandis que nous nous intégrerons aux cohortes de nouveaux prolétaires, avec ou sans statut de journaliste, surexploités et sans arme collective de lutte contre le patronat. Notre défaite aura aussi été le résultat de nos faiblesses, du corporatisme étroit, de notre repli sur nous-mêmes.
Ce qui peut faire notre force, c’est ce qui l’a fait hier : la solidarité dans la lutte. Il n’est jamais trop tard pour s’organiser, se réunir toutes corporations confondues, pour se battre.