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SIPM
Le dialogue social sauce Fillon-MEDEF
Commission juridique confédérale
mercredi 7 avril 2004
Une loi historique de régression sociale : la loi Fillon passée en première lecture à l’Assemblée nationale. La porte est ouverte au démantèlement du droit du travail.
« Une vraie conquête sociale », Ernest-Antoine Sellière
Le texte de la loi sur Légifrance
La partie « dialogue social » de la « Loi relative à la formation professionnelle tout au long de la vie et au dialogue social », qui est déjà passée en première lecture à l’Assemblée nationale, a été présentée comme une démocratisation de la vie syndicale. Lors du mouvement des retraites du printemps dernier, beaucoup ont découvert qu’une organisation minoritaire pouvant signer un accord engageant l’ensemble des salariés. L’enjeu du projet était également de prendre en compte la nouvelle donne du paysage syndical français. Pourtant, cette loi a réussi l’unanimité contre elle. Même la CFDT rechigne, ce qui est pour le moins inquiétant. Alors, c’est la catastrophe ? Oui.
La représentativité
Un des enjeux de cette loi, qui intéressait au premier chef les syndicats émergeants, était la question de la représentativité. Il faut savoir en effet qu’en France seule 5 confédérations sont jugées automatiquement représentatives sur tout le territoire, conformément à un décret de 1962 : la CGT, la CFDT, FO, la CGC et la CFTC. Concrètement, cela leur donne le droit de se présenter aux premier tour des élections professionnelles, d’avoir des sections d’entreprises jugées automatiquement représentatives quel que soit le nombre d’adhérents, et de bénéficier des droits des délégués syndicaux (négociation, délégation, protection...). Pour les autres (CNT, SUD, UNSA, etc.), la conquête de la représentativité se fait boîte par boîte, branche par branche, et se finit régulièrement au tribunal d’instance. Il faut savoir qu’obtenir la représentativité constitue une protection non négligeable pour la section, que cela confère à la section une existence légale dans la boîte. L’échec à obtenir la représentativité peut conduire à la mort d’une section confrontée à la répression et l’hostilité des autres syndicats.
La première mouture du projet de loi prévoyait qu’il serait possible de se présenter sans condition de représentativité dès le premier tour des élections professionnelles, ce qui aurait signifié pour les syndicats « non représentatifs » une avancée considérable. Pas de bol, ce passage a disparu de la mouture définitive, on se doute que les « grands » syndicats n’y sont pas pour rien, tout comme la patronat qui ne devait pas envisager sereinement l’arrivée des trublions. On reste donc dans une situation complètement déconnectée de la situation actuelle, correspondant à une réalité datant de 1962. Et, pour ce qui est de la démocratie syndicale, grand prétexte de cette loi, ce n’est pas dans ce domaine qu’on progressera...
Démocratie syndicale
Pas dans les autres non plus. Ce qui était en effet largement revendiqué, c’était le principe d’accord majoritaire en fonction de la représentativité des syndicats. C’est-à-dire que les organisations signataires devaient représenter la majorité des travailleurs. Avec comme critère au niveau national les scores aux élections prud’homales, et au niveau de l’entreprise les résultats aux élections professionnels. Certes, ce n’était pas parfait, et pour la CNT cela ne manquait pas de poser un problème en raison du refus de participer aux élections prud’homales et d’une participation très ponctuelle aux élections du CE. Mais du moins cela était un progrès, puisqu’actuellement il suffit d’une organisation syndicale même largement minoritaire (CFTC), même ne représentant qu’une partie des salariés (CGC), pour qu’un accord soit validé et applicable à tous les salariés concernés par les négociations.
Or, dans la loi peaufinée par le gouvernement, rien ne change dans le fond. En effet, pour les accords nationaux, le principe retenu est : l’accord est validé sauf si une majorité d’organisations syndicales s’exprime contre. Etant entendu que comme avant seules les cinq « grandes » peuvent participer aux négociations. Leur représentativité réelle n’entre pas en ligne de compte. En pratique, avec cette nouvelle loi, la réforme des retraites serait passée exactement dans les mêmes conditions, puisque trois organisations syndicales minoritaires la soutenaient quand deux majoritaires y étaient opposées.
La loi prévoit cependant la possibilité de mettre en place une validation des accords tenant compte de la majorité des salariés, soit par un vote (applicable au niveau de l’entreprise), soit en tenant compte de la représentativité « réelle » des organisations signataires (par exemple en tenant compte des résultats aux prud’homales). Mais cette possibilité n’est ouverte qu’aux conventions et accords de branche, et à condition qu’une convention ou accord l’ait prévue. C’est se foutre de la gueule des travailleurs pour trois raisons :
– d’abord, parce que le niveau le plus important, celui national, est épargné ;
– ensuite, parce que l’accord de branche ou professionnel imposant ce mode de validation doit être lui-même validé selon le principe des accords nationaux !
– enfin, comme nous allons le voir tout de suite, parce que la même loi vide de leur substance par ailleurs les conventions de branches et les accords collectifs professionnels.
Le « principe de faveur » dépecé
En effet, le vrai gros morceau de cette loi, c’est la remise en cause du « principe de faveur ». C’est quoi ce truc ? Un accord collectif ne peut fixer des garanties pour les salariés inférieures à ce que prévoit un accord de niveau supérieur, ce dernier ne pouvant être moins favorable que la loi, en vertu de l’article L 132-4 du code du travail. Ainsi, jusqu’à maintenant, un accord collectif s’applique à tous les salariés de toutes les entreprises entrant dans son champ d’application. C’est le principe des conventions collectives étendues.
Or, dans ses articles 36 à 39, la nouvelle loi limite cette obligation aux questions du salaire, des classifications et des cotisations sociales. Tout le reste pourra être remis en cause par des accords d’entreprise. Il s’agit donc d’accorder aux négociations locales une importance déterminante dans les rapports entre travailleurs et patrons. C’est-à-dire de privilégier le niveau où le salarié est naturellement le plus fragile, le plus isolé, sachant qu’un salarié sur deux n’a pas de représentant syndical. C’est une pratique de dumping social qui livrera des millions de salariés à des accords rétrogrades en toute légalité. N’oublions pas de situer cela dans son contexte : Jean-Pierre Raffarin veut rendre la France « attractive » (entendez « les salariés français attractifs pour les exploiteurs »). Cette loi est donc en elle-même une formidable régression sociale, mais de surcroît ouvre la voie au démantèlement plus général du droit du travail avec comme perspective la remise en cause du Code du travail.
D’autant qu’elle étend aux accords d’entreprises un privilège jusque là réservé aux accords de branche étendus. Certaines dispositions des accords de branche peuvent en effet être moins favorables que le Code du travail : montant de la prime de précarité pour les CDD (L122-3-4), durée de la période d’essai (L124-4-1), indemnité de précarité pour les intérimaires (L124-4-4). Sont encore visés, dans 14 articles au total, la réduction du taux de majoration des heures supplémentaires et la fixation du contingent annuel, la possibilité de déroger, dans le cadre du travail de nuit, à la durée quotidienne de 8 heures ainsi qu’à la durée hebdomadaire de 40 heures sur 12 semaines consécutives, la faculté de déroger au repos quotidien de 11 heures, etc. Un simple accord d’entreprise pourra remettre désormais tout cela en cause.
Un droit patronal
En comparaison, l’article 45 peut être considéré comme anecdotique. Il est cependant révélateur. Il s’intéresse à l’accès des syndicats à Internet dans l’entreprise. Il est un ajout à l’article 412-8 du Code du travail qui autorise les syndicats à diffuser des tracts dans l’entreprise aux heures d’entrée et de sortie. Ce qui est révélateur dans cet article, c’est qu’il ne contient aucun nouveau droit pour les salariés, en l’occurrence les syndicats, mais pose par anticipation les limites d’un droit que le syndicat devra conquérir entreprise par entreprise ! La loi ne sert plus à défendre les salariés contre les patrons, mais à protéger ceux-ci au cas où, localement, ils aient à faire à forte partie.
Ainsi, l’article 45 de la loi Fillon, annonce qu’il est possible au niveau de l’entreprise de négocier un accord d’entreprise concernant l’utilisation de la messagerie et de l’intranet. C’était déjà le cas avant la loi, donc aucune avancée en cette matière. Mais elle précise qu’en cas d’accord négocié cela ne doit pas gêner le travail, doit être conditionné à des règles précises et que la diffusion doit être limitée.
Rapproché de l’article dans lequel il s’insère, qui affirme le droit à diffuser des tracts, c’est une régression énorme pour le nouveau champ d’action qu’est Internet. C’est un aveu de démission du droit du travail applicable à tous devant un droit du travail établi entreprise par entreprise. Un aveu aussi du basculement complet et flagrant de l’Etat en faveur du patronat.
Cela permet de ne pas oublier que le droit est le produit d’un rapport de force, à un moment donné, entre les travailleurs et le patronat ; que les progrès du droit à un moment où le rapport de force est en faveur des travailleurs correspond à un recul lorsque ce rapport de force s’inverse. Cela permet de se rappeler que, si le droit peut et doit être utilisé, le premier terrain est la lutte des classes, la construction d’une force collective qui s’affirme par la grève, l’occupation, tous les outils d’action inventés par les travailleurs, réunis dans leur syndicat.