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L’information n’est pas une marchandise, ceux qui la font ne sont pas des pions.
lundi 9 octobre 2006
Edito du Ça presse n°6
“La presse traditionnelle n’a que peu d’avenir en l’état.” La rentrée pour le SIPM commence par un quiz. Qui a pu sortir une phrase pareille ? Vladimir Poutine ? Mon kiosquier ? Arnaud Lagardère ? On vous laisse dix secondes de réflexion, le temps de lire une page de Direct Soir...
Vous avez trouvé ? Eh oui ! C’est bien le fils de... Arnaud, l’homme des JO à Paris, le copain de Sarkozy. Qui fait dans l’édition, dans le magazine aussi. Et qui donne dix ans tout au plus à la presse avant que tout ce qui se lit, s’écoute et se regarde ait fusionné dans le fameux et ultime Grand Tout, l’Internet, la Toile... Qu’il soit grand manitou des NMPP, saint apôtre des Relais H n’est pas le moindre des paradoxes. L’homme fort de la presse vient de nous dire, à l’occasion de quelque présentation annuelle et financière, que la presse allait mourir. Rideau !
Le pire, c’est qu’il est loin d’être seul à penser ainsi. Prenez les conclusions de l’institut Montaigne. En onze propositions, le think tank (“sac à merde” en anglais) de Claude Bébéar se propose de sauver la presse. UNE BONNE FOIS POUR TOUTES ! La première proposition est si belle qu’on ne résiste pas à l’envie de la reproduire in extenso : “Mettre en place un plan de réforme de la presse sur trois ans dans lequel l’obtention des aides est strictement conditionnée à la restructuration des entreprises de presse. Les titres abusant des largesses de l’État seraient, après audit et suite à une période de trois ans, obligés de rembourser les aides perçues à titre exceptionnel. Adopter ensuite une loi prévoyant, au nom de la liberté de la presse, la suppression définitive des aides directes.”
En clair, on vous jette à l’eau, on vous retire les brassières et seuls ceux qui n’auront pas fini au fond de la piscine auront le droit de respirer de temps en temps. Et l’on ne vous raconte même pas ce que l’institut Montaigne pense de la clause de conscience ou des syndicats...
Bien évidemment, tous les patrons de presse, face à ce brûlot ultralibéral, n’ont de cesse de faire leur vierge effarouchée, jurant la main sur le portefeuille que jamais ils n’adhéreront à ce genre de billevesées, jamais ils ne se résoudront à des mesures d’une telle extrémité... Merci patrons, nous voilà rassurés ! Pendant ce temps-là, Le Monde, après son fameux “plan de modernisation sociale” et après avoir sucé jusqu’à l’os son pôle magazine, s’en va restructurer dans le sud-est de la France, histoire de constituer avec Lagardère le troisième pôle de presse régionale de l’Hexagone. Et comme la nouvelle formule du “quotidien de référence” s’est pris un moins 3 % en termes de diffusion, Colombani n’a pas d’autre idée que de lancer ce que jadis il fustigeait : un GRATUIT ! Faut dire, Le Figaro en voulait un, fallait bien les prendre de vitesse. D’autant que le marché n’est pas le moins du monde encombré... Mais, coco, oublie ta déontologie, ce qui compte aujourd’hui, c’est pas le lecteur, c’est l’annonceur...
Alors évidemment, dans ce contexte, le reste de la presse a cet air suranné et maladif qui n’est pas sans rappeler l’Ukraine de 1921. France Soir, sous l’égide d’un ancien marchand de biens et la férule d’un ancien de Minute, a réussi le tour de force éditorial de tomber plus bas que là où on l’avait laissé quand à des Italiens stakhanovistes se substitua un homme d’affaires franco-égyptien faisant dans les compagnies aériennes qui se crashent et les journaux qui s’embourbent. Quant à Libération, après “le loup dans la bergerie” avec l’arrivée de Rothschild et “la mort du père” avec l’éviction de Serge July, le journal maladroit d’être trop mal à gauche envisage une nouvelle charrette, espérant quelque salut dans le retour en grâce d’un pseudo homme providence, un Edwy Plenel ne sachant que faire de ses dix doigts.
Côté presse “indépendante”, Politis est en dépôt de bilan et L’Huma toujours en sursis, attendant les résultats de 2007 pour savoir si l’avenir sera rouge vif ou noir déprime. Et du côté de la presse régionale, les restructurations sont de plus en plus violentes (comme avec le dépeçage de la Socpresse et la remise au pas de titres parfois moribonds tel Le Progrès) au nom de la constitution de bastions pseudo-imprenables avec uniformisation de l’offre par multiplication de celle-ci sur tous les supports possibles et imaginables (télé, radio, Internet).
On ne vous parlera qu’à mots couverts de radios ne sachant plus comment faire pour retenir une audience et des annonceurs de plus en plus volatils. Et, du côté de la télé, la TNT n’aura été qu’un écran de fumée : sous couvert de diversité, la véritable télé qui se prépare est symbolisée par la fusion entre CanalSat et TPS. En clair : la constitution de géants où l’humain n’est qu’une ligne d’un bilan comptable qu’il faut à tout prix comprimer, au nom du sacro-saint marché et au bon plaisir des actionnaires.
Heureusement, des luttes viennent nous laisser entr’apercevoir une autre façon de penser les médias. Non pas tant les cris d’orfraie d’un Bayrou découvrant la concentration des médias et la mainmise de grands groupes industriels sur ces derniers, un constat à peine différent de celui des organisations de “gôche” lorsqu’elles jouent au tiers état pour organiser des pseudo-états généraux pour le pluralisme et les subventions.
Non, on parlera de la lutte exemplaire des salariés de France Soir qui ont refusé que leur idée du journalisme ne soit bradée. Ou celle à Emap, troisième plus gros groupe de presse magazine en France, où la mobilisation a payé, les salariés réussissant à imposer leurs conditions tant à la maison mère britannique, pressée de vendre cette branche pour assurer les dividendes des actionnaires, qu’aux acheteurs, en l’occurrence Mondadori, groupe de presse italien proche de... Berlusconi.
À la veille de 2007, le constat est sombre. Et alors qu’une des plus prestigieuses fabriques de futurs précaires, le Centre de formation des journalistes, voudrait, sous l’égide de Dominique de Villepin, “réinventer le journalisme”, il est plus que de temps de réinventer nos modes de luttes et de revendications.
Par une intransigeance
de tous les instants,
par une combativité systématique,
avec cette certitude chevillée
au corps et à la plume : l’information n’est pas une marchandise, ceux qui la font ne sont pas des pions.
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