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Témoignage
Journaliste irakien en Irak
d’un correspondant en Irak
vendredi 12 mars 2004
Le quotidien d’un journaliste irakien en Irak, entre le marteau et l’enclume.
Ouf... mon ami Ali vient d’être relâché,14 jours a attendre, espérer, envoyer des méls aux différents journalistes avec lesquels Ali a travaillé. Téléphoner à sa maison de production en Angleterre pour qu’elle prenne contact avec l’autorité américaine pour leur expliquer qu’Ali est BIEN un journaliste qui travaille pour eux, bien qu’il soit Arabe ET Irakien.
Ali a été arrêté dans sa maison dans le quartier d’Adhamhya par les troupes américaines qui opéraient un raid dans le quartier, il y a quatorze jours, parce qu’il était en possession d’une caméra ! Objet terriblement suspect par les temps qui courent.
Quatorze jours durant lesquels, sans être réellement battu, il a été humilié, interrogé, suspecté... Quatorze jours sans avoir le droit de se laver, de se raser, avec un bandeau sur les yeux, et les mains attachées. Simplement pour être en possession d’une caméra et de films comportant des images de manifestations et des interviews de soldats...
Quatorze jours... pourtant, lorsqu’ils l’ont arrêté, les soldats ont vu sa carte de presse, le major en charge de l’enquête sur Ali a bien recu les méls de la maison de production, les différents méls des journalistes, nous nous en sommes assurés. Nous avons même rencontré ce fameux major, pour apprendre qu’Ali était maintenu en détention jusqu’à nouvel ordre parce qu’il était susceptible en tant que journaliste d’avoir des contacts avec la résistance…
Je ne sais pas si Ali a de tels contacts, mais ce que je sais c’est que de nombreux journalistes ont des contacts fréquents, d’une manière ou d’une autre, avec des éléments ce réclamant de la résistance, et c’est normal, ils font leurs boulots de journalistes.
Après tout, le cas d’Ali est peut-être isolé ? Une erreur, une maladresse de l’autorité américaine qui a sans doute mis longtemps a comprendre qu’elle venait d’arrêter un reporter/cameraman qui faisait son métier et non pas un terroriste...
Le fait est que cet événement n’est pas isolé du tout, il ne fait pas bon être Arabe ( encore moins Irakien) et journaliste en ce moment.
Des journalistes Irakiens travaillant pour des agences de presse internationales ont été arrêtés et battus par l’armée américaine, Al Jazeera et Al Arabya ont été interdites de travailler pendant près de quinze jours par les autorités d’occupation, leurs locaux a Bagdad fouillés, leurs personnels traités comme des bandits. Deux journalistes iraniens ont été arrêtés pendant près d’une journée par les soldats américains et vu leurs bandes confisquées. Ils étaient sur place lorsqu’une voiture remplie d’explosifs a sauté à l’entrée du palais de Saddam, siège de l’autorité américaine.
Hier soir, je discutais avec un ami américain, journaliste indépendant, du problème d’Ali.
Ben et un autre journaliste venaient de passer quelques jours au sein de la base/hôpital de l’armée américaine près de la ville de Ballad. Ce qui venait d’arriver à Ali fut loin de le surprendre, il me raconta alors ce qu’ils avaient vu lorsqu’ils étaient rentrés dans la base militaire :
« Nous n’étions pas les seuls journalistes a vouloir rentrer dans la base », me dit-il, « devant nous deux journalistes arabes travaillant pour CNN attendaient eux aussi. Lorsque les soldats américains nous ont vus, ils nous ont fait passer devant CNN, nous, pauvres journalistes indépendants, et nous ont laissés entrer sans presque nous fouiller. Les deux journalistes de CNN, eux, ont dû attendre des heures avant de rentrer, après avoir été minutieusement fouillés, après que les soldats se soient bien assurés que les deux journalistes aient bien toutes les autorisations nécessaires, alors que nous n’avions qu’une lettre d’un des commandants de la base.
Nous avons demandés aux soldats en rigolant pourquoi ils en voulaient tant à CNN, l’un deux nous répondit franchement que le problème n’était pas CNN mais le fait qu’ils étaient Arabes et Irakiens, et qu’il n’avait aucune confiance dans ces foutus arabes, encore moins quand ils étaient journalistes... Evidement les "boy’s" n’aiment pas trop les journalistes et si en plus ils sont un peu racistes »...
L’armée américaine a depuis le début, bien qu’elle dise le contraire, des problèmes avec les journalistes, comme toujours lorsqu’une armée étrangère occupe un pays.
Le début du conflit a été marqué par une opération de séduction envers la presse. L’armée américaine a donné aux journalistes la possibilité d’être « Embed » avec les unités sur le front ; les journalistes ainsi embarqués acceptaient néanmoins un grand nombres de restrictions quant à leur liberté de filmer ou d’écrire pendant les opérations. Cependant, cette opération est à double tranchant, tout ceux qui ne sont pas « Embed » dégagent l’armée américaine de toutes responsabilités quant à leur sécurité. Durant l’opération militaire proprement dite, de mars a mai, plus d’une dizaine de journalistes ont été tués, dont au moins sept par les forces américaines. Depuis la fin de la guerre, le compte macabre des journalistes abattus ne s’est pas arrêté, une demi-douzaine de journalistes ou de collaborateurs de presses ont été tues, là encore les forces de la coalition sont responsables dans plus de la moitié des cas. Le dernier en date étant un reporter bien connu travaillant pour Reuters, le journaliste palestinien Mazen Dana, abattu par les mêmes soldats qui lui avaient donné l’autorisation de filmer.
Il est difficile de croire que tous ces événements, assassinats, arrestations, censures sont de simples coïncidences, surtout lorsqu’ils surviennent après la fin officielle de la guerre. De là à penser que c’est une tactique pour effrayer les journalistes et les obliger à se soumettre aux conditions des forces de la coalition, il y a un pas que je vous laisse libre de franchir...
Evidement, les forces de la coalition ne sont pas les seules responsables de la mort de journalistes. Les deux derniers étaient des collaborateurs de presse travaillant pour CNN, et ont été exécutés par des « résistants » parce que, justement, ils étaient journalistes et irakiens.
Cependant, la différence est notable entre des malfrats se donnant le nom de résistants et l’armée américaine, c’est que cette dernière est théoriquement venue pour apporter la « démocratie », dont la liberté de la presse est un des fondements, et qu’en tant que puissance occupante elle est tenue par tout un tas de conventions et lois internationales de respecter et de protéger la vie des civils innocents. Jusqu’à preuve du contraire et bien qu’on puisse parfois leur reprocher bien des choses, il me semble que les journalistes en font partie.
Non, en ce moment il ne fait pas bon être journaliste en Irak, surtout quand on est arabe et particulièrement quand on est Irakien.