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"Harmonisation", "rationalisation" et conflit social au Monde
vendredi 3 octobre 2014
Les soubresauts qui ont agité le quotidien Monde ces dernières semaines ne sont pas passés inaperçu. Coupure pendant l’émission anniversaire de la matinale de France Inter, non-parution du journal dans les kiosques parisiens vendredi 26 et non mise à jour du site lemonde.fr pendant une heure ce même-jour. Nos camarades de la section CNT du monde.fr nous expliquent les raisons de la colère.
Au Monde, le « virage numérique » s’accompagne d’un profond mouvement de restructuration. Alors qu’il est désormais clair que le journal papier (le « print » disent les chefs) perd toujours plus de lecteurs (-17% sur l’année écoulée, ce qui n’amène pour le moment pas de réflexion sur la ligne éditoriale), et que le site internet se retrouve le dernier « levier de croissance », la direction du groupe entreprend de grandes manœuvres d’économies et de « rationalisation ».
Le premier mouvement s’est achevé il y a quelques mois avec « l’harmonisation des statuts » des journalistes print et web. Les deux rédactions qui se regardaient en chien de faïence depuis la création du petit frère (LeMonde.fr) sont désormais théoriquement logées à la même enseigne salariale. Après quatorze mois de négociations, les journalistes print ont perdu dix jours de RTT (rachetés 90 euros pièce) en échange d’une commission chargée de surveiller leur charge de travail (dans laquelle personne n’a confiance pour réguler quoi que ce soit) ; les journalistes web y gagnent une grille des salaires jusqu’alors inexistante et ne perdent qu’intéressement et participation qui vont sûrement revenir si l’on en croit les capitaines du navire. La perte est moins violente, elle est même parfois en réalité un gain sec, car beaucoup d’entre eux ont été augmentés dans la manœuvre ; c’est dire si leurs conditions de rémunération étaient jusqu’alors éloignées de celles de leurs aînés. Preuve s’il en fallait que les journalistes web sont encore bien souvent considérés comme des « sous-journalistes ».
Mais les grandes manœuvres ne faisaient que commencer. Les journalistes, surtout au Monde où ils ne sont pas encore trop précarisés (pas les titulaires en tout cas), sont les aristocrates des entreprises de presse, et la négociation qui leur a été réservée a été menée avec de relatives précautions par la direction. Depuis juin, et surtout depuis la rentrée, s’est entamée la véritable mesure d’économie et de coupe voulue par les actionnaires (de gauche rappelons-le) du journal : le projet de filialisation des « fonctions groupe ». Derrière la novlangue se cachent tous les métiers des « non-journalistes », depuis les personnes qui distribuent le courrier jusqu’aux programmateurs informaticiens, que la direction souhaite regrouper dans une filiale hors de la SEM (société éditrice du Monde) du MIA (Monde Interactif qui édite LeMonde.fr) et de VM Magazines (qui gère les fonctions administratives des magazines du groupe Le Monde). L’objectif est clair : réaliser de gigantesques économies d’échelle en supprimant des postes faisant doublon et surtout en sortant tout ce petit monde des conventions collectives de la presse nationale et magazine. C’est bien simple, la direction a toujours refusé de dire quelle convention elle souhaite leur appliquer à l’avenir. Mais personne n’est dupe, elle se dirige vers la création d’une filiale de prestation de services qui serait sous convention Syntec.
Derrière le projet du Monde, se cache un détricotage des conventions collectives des employés et cadres de la presse, qui font partie du SPQN (Syndicat de la presse quotidienne nationale) au même titre que les journalistes. Plutôt que d’ouvrir des négociations sur ce statut, les nouveaux patrons de presse ont décidé de le vider de toute substance en faisant sortir leurs salariés de cette convention. Le même mouvement est en effet en cours chez Amaury (L’Equipe et Le Parisien) et à l’AFP. Une intention supérieure finalement à leur simple désir de faire des économies dans l’immédiat et qui se lit dans leur empressement à assurer aux salariés que les conditions individuelles de travail et les accords d’entreprise actuels seront préservés. Les capitaines visent plus loin : raboter le droit collectif et le remplacer par la précarité du droit privé, de la négociation directe et du cas par cas.