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SIPM-CNT
France Soir : chronique d’une mort annoncée ?
mardi 17 janvier 2006
Certains s’en réjouissent. Et pourtant, si France Soir va mal, c’est un nouveau signe de l’état de délabrement de la presse en France.
Et France Soir va très mal. Si mal qu’il est à deux doigts de mourir. Et que, pour info, jamais la mort d’un titre n’a profité aux autres.
Oubliez le temps où le journal de Lazareff tirait à plus d’un millions d’exemplaires. Aujourd’hui, France Soir est en dessous des 40000. Depuis la fin de l’été dernier, suite à un différend avec son imprimeur, il n’est plus imprimé ni même distribué dans le Sud.
Mais ça, c’est presque le cadet des soucis des 120 salariés du titre. Placé en redressement judiciaire en octobre dernier, le journal attend un repreneur. Il faut dire qu’après avoir perdu les petites annonces dans les années 70 et s’être fait tailler des croupières tant par Le Parisien que par les gratuits, la santé d’un des rares quotidiens « populaires » est vacillante.
Et elle aura été aggravée tant par le défilé des directeurs que par celui des propriétaires.
Sans remonter très loin, on peut évoquer le rachat hautement symbolique du journal par Georges Ghosn à la Socpresse pour un euro symbolique. C’était à la fin des années 90 et, un an plus tard, Ghosn revendra au même prix le titre aux Italiens de Poligrafici Editoriale. Un groupe de presse italien qui, après avoir bradé l’imprimerie, jouera les dépeceurs d’un titre pour lequel ils n’ont aucune considération. Si ce n’est celle de revendre des pages de leurs titres italiens. Tout en considérant qu’« en Italie, un journaliste n’a pas de dossier et réalise deux ou trois pages par jour ». Pourquoi pas en France.
Alors que France Soir, pour des raisons de survie, imprime dans le même temps son pire fossoyeur (Metro), la valse des directeurs de la rédaction commence : Bercoff, Bouvard... Et les Italiens de revendre le titre quelques années plus tard.
L’homme d’affaires proche de la droite dure, Jean-Pierre Brunois, sera un temps en passe de remporter la manche. Mais, au dernier moment, il fera faux bond à Poligrafici. Ce sera finalement Raymond Lakah, obscur homme d’affaires franco-egyptien qui deviendra le nouveau propriétaire de France Soir. Lakah fait dans les compagnies aériennes à bas prix. Après son passage, elles connaissent les affres du tribunal de commerce et du dépôt de bilan.
Prophétique. Après onze mois à la tête d’un journal où il ne mettra jamais vraiment les pieds et un coûteux projet avorté (Lakah voulait sortir une version en anglais du titre, France Soir International, pour laquelle plusieurs millions d’euros se sont évaporés et plusieurs dizaines de « numéros zéro » auront été fait sans jamais connaître le chemin des kiosques), le pdg du journal est débarqué pour être remplacé par un banquier belge spécialiste des questions de sécurité et des cas désespérés, Jacques Lefranc.
Il récupère un journal exsangue qui, dans le Sud, n’est même plus imprimé. Il réussira à calmer les fournisseurs et payer l’imprimeur « au cul du camion ». Surtout après avoir tenté de faire imprimer le journal en dehors du Livre. Mais Lefranc n’est pas Amaury. Et le journal à deux doigts de sombrer.
Déclaré en cessation de paiements, criblé de dettes, France Soir est placé en redressement judiciaire à la fin de l’année dernière. Deux administrateurs judiciaires épaulent Lefranc, Frédéric Brunet et Gilles Baronnie. Le but, désormais, est de trouver un repreneur. A tout prix.
Accessoirement, ils s’intéressent aux conditions de cession de l’imprimerie par Poligrafici Editoriale et aux quelques millions qui se sont évaporés avec France Soir International. Mais cherchent avant tout des candidats au rachat.
Le propriétaire actuel, Raymond Lakah, assure qu’il va présenter un « plan de continuation ». Si son offre n’arrivera jamais en bonne et due forme, elle donne le la : il prévoit de virer près de la moitié du personnel pour relancer France Soir mais aussi sortir France Soir international ainsi qu’une dizaine d’éditions gratuites et local d’un France Soir du soir.
Apparaissent donc très logiquement les offres des premiers fossoyeurs. Jean-Pierre Brunois qui, se présentant avec le journaliste sportif Olivier Rey, prévoit de racheter le titre pour 50000 euros et ne garder que 23 journalistes. Mais aussi Georges Ghosn, alignant 100000 euros et 32 journalistes pour faire un France Soir aux allures de supplément parisien du JDD. Problème : il doit encore de l’argent à France Soir et pourrait donc ne pas voir son offre retenue.
Le compte à rebours défile et, en janvier, le tribunal accorde un délai supplémentaire au titre pour se trouver un sauveur. De la mansuétude ? Non : la justice essaye aussi de s’en tirer avec le moins de casse possible. Car Raymond Lakah, sous le coup d’une enquête préliminaire par la brigade financière, contre-attaque en déposant fin décembre une requête en suspicion légitime à l’encontre du président du tribunal de commerce de Bobigny. Il accuse ce dernier d’être juge et partie puisque soupçonné d’être actionnaire de la holding de Raymond Lakah, Angel Gate. Et le président du tribunal qui doit statuer sur l’avenir de France Soir est aussi celui qui a liquidé plusieurs des compagnies aériennes de l’homme d’affaires franco-egyptien. Cette imbroglio juridique donne quelques semaines de plus à France Soir.
De quoi donner le temps à de nouvelles offres de voir le jour. Celle de Vincent Lalu, directeur des éditions de La Vie du rail semble la « mieux disante » : il garderait 62 salariés sur 120 pour faire un France Soir destiné aux « nouvelles identités françaises », entendez les DOM, les TOM et les enfants d’immigrés. Virage à 180° donc du côté de la ligne éditoriale. Mais une incertitude : le grand groupe de presse européen (possédant des gratuits et des quotidiens, paraît-il) qui doit lui apporter ne serait-ce que le million d’euros lui permettant de racheter le titre se fait attendre.
Suit André Bercoff, ancien directeur de la rédaction, qui n’a rien trouvé de mieux que de se faire l’écho des appétits du groupe Québecor (qui imprime... Metro !!). Et surtout une nouvelle offre, celle d’ICM, société de droit luxembourgeoise, ayant sorti de l’ombre Patrice Gelobter (obscur patron de l’éphémère Nouveau Dimanche) pour se faire appuyer par un groupe-alimentaire du sud de la France afin de relancer France Soir avec sept millions en poche et un peu plus de la moitié de la masse salariale.
Enfin, une ultime proposition. Un projet a priori séduisant, puisque consistant en un rachat de l’entreprise par ses salariés. Problème, s’il prévoit de garder 72 salariés, c’est au prix d’un volet social des plus rigoureux (fin des 35 heures, impossibilité de prendre ses heures de délégation syndicale...) et, porté par le directeur général Eric Fauveau, il n’a été présenté aux salariés qu’au dernier moment. Dernier détail : il ne prévoit de racheter le journal que pour 10000 petits euros et n’a pour l’instant aucun soutien financier.
France Soir attend donc un hypothétique repreneur après avoir été vidé de sa substance. Un journal ne comptant qu’une centaine de salariés et dont le budget reportage est réduit à néant n’est plus que l’ombre de lui-même. Plus inquiétant : ni la profession ni le syndicat de la presse parisienne (patronal) n’ont daigné se mobiliser pour sauver ce titre historique de la presse française.
Il n’y a guère que la CGT, le PCF ainsi que plusieurs milliers de signataires (allant d’Olivier Besancenot à... Alain Delon) à avoir manifesté leur soutien sur l’air minimaliste de « France-Soir doit vivre ».
Le SIPM-CNT, pour sa part, a apporté son soutien à des salariés bien souvent réduits à ne rêver que d’un ultime repreneur, une branche certainement aussi pourri, si ce n’est plus, que les précédentes. Suite à une initiative personnelle, nous avons aussi fourni aux salariés les documents de base permettant de reprendre leur journal en coopérative. Mais l’état du titre est tel que cette entreprise serait des plus périlleuses. On ne peut donc que plaider pour que la presse et les médias sortent des rapports marchands dans lesquels on les a enfermés.
Et si, par malheur, France Soir venait à disparaître, ce serait un signe des plus funestes pour le monde des médias. Cela voudrait dire que la profession, les pouvoirs publics et politiques n’ont aucun scrupule à voir un journal (et donc pourquoi pas deux ou trois) mourir. Et que le rapport Lancelot, en service commandé auprès du premier ministre, avait raison puisqu’il estimait que « le paysage médiatique n’a pas atteint un degré de concentration alarmant ». En clair, que l’on peut s’accommoder d’une presse réduite à deux ou trois grands titres. Encore un effort, camarades !
L’information n’est pas une marchandise, ceux qui la font non plus !