Un syndicalisme autogestionnaire et sans permanent

Accueil > Droit du travail > Externalisation, sous-traitance > Emap, une externalisation ordinaire

SIPM, salariés d’Emap

Emap, une externalisation ordinaire

Paru dans Les Temps maudits n° 16

dimanche 6 juillet 2003

Lorsque le troisième groupe de presse français externalise un service, que se passe-t-il ? Les collègues d’hier sont abandonnés aux requins de la sous-traitance.

Dossier externalisation : Emap, un cas d'école

Emap : une externalisation ordinaire

Encadrés après l'article principal:
• EMAP, un empire de presse
• Syndicats, aveugles ou sourds?
• La souffrance des "ressources humaines"

Article réalisé grâce à des entretiens avec des salariés et anciens salariés d'Emap et de Dalkia. Les données viennent, entre autre, des sites d'Emap (www.emap.com et www.emapmedia.com), de l'Acrimed (Action critique des médias, http://acrimed.samizdat.net) et de Kiosk, magazine interne d'Emap France.

Lorsque le troisième groupe de presse français externalise un service, il ne se passe rien. Les collègues d'hier sont abandonnés aux requins de la sous-traitance. Des questions demeurent : l'article L 122-12, censé protéger les salariés en pareil cas, a-t-il été respecté ? Surtout, qu'en est-il de cet article ? A la lumière de ce qui s'est passé à Emap, mise à jour des dessous douteux d'un larron bien attifé.

En juillet 2001, la société EMAP annonce au comité 1 d'entreprise son " projet ", l'externalisation des services généraux. Les services généraux sont composés de vingt salariés, dont la responsable et quatre élus du personnel. Ils sont une branche des services administratifs. Ils sont plus particulièrement chargés de la maintenance des installations techniques, de l'accueil et du standard téléphonique, du traitement du courrier, de la gestion des badges d'accès au site, des contrats de sous-traitance (qui ainsi seront " sous-sous-traités "), etc.

Le comité d'entreprise (CE) s'oppose à cette externalisation et refuse de l'inscrire à l'ordre du jour d'une réunion prévue par la loi. Emap assigne le CE en référé, qui doit céder, le processus peut être initié.

Un appel d'offre est lancé. La société Dalkia emporte le marché, en échange d'une réduction de 25% sur les prestations pendant cinq ans. Dalkia, c'est une filiale de Vivendi, spécialisée dans les services. Dalkia se vante d'être présent dans tous les métiers des services.

Le 21 janvier 2002, l'externalisation prend effet. Les salariés d'Emap deviennent salariés de Dalkia.

Le CE dépose une plainte. D'abord, il argue du non-respect de la loi dans la procédure (CE informé partiellement par la direction). Ensuite, il estime cette externalisation abusive, en référence à l'article L 122-12 du Code du travail et à la directive européenne 2001/23/CE.

Le 1er mars 2002, le tribunal de grande instance de Nanterre donne raison à la direction d'Emap. Le CE fait appel, accompagné du CHSCT (comité d'hygiène et de sécurité et des conditions de travail), du SNE-CFDT, du SNJ et du SNJ-CGT. Le19 juin 2002, la cour d'appel de Versailles rend son verdict : les plaignants sont condamnés aux dépens. Ils se pourvoient alors en cassation. Cela est en cours.

L'article L122-12 et la directive 2001/23/CE

La directive européenne 2001/23/CE est applicable à " tout transfert d'entreprise, d'établissement ou de partie d'entreprise ou d'établissement à un autre employeur résultant d'une cession conventionnelle " (art. 1-1-a). Elle permet de définir ce qui est entendu par " entité économique " : " un ensemble organisé de moyens, en vue de la poursuite d'une activité économique, que celle-ci soit essentielle ou accessoire " (art. 1-1-b). Peut-on définir une composante des services administratifs, dont les fonctions ont été énumérées plus haut, comme une " entité économique " ? A priori, un service administratif n'est pas une " activité économique " autonome de l'entreprise à laquelle elle appartient. Sans l'entreprise, ils disparaissent. Ils ne sont pas une " activité économique " à proprement parler, mais sont au service d'une " activité économique ". Dans les motifs de l'arrêt de la cour d'appel de Versailles, il est écrit : " une opération d'externalisation[...] n'entraîne le transfert des contrats de travail que si l'activité cédée correspond à une véritable entité économique autonome ". Cela semble donner raison aux salariés. D'autres considérations suivent cependant, dont : " Que si ces activités étaient diverses, elles poursuivaient un objectif propre, la gestion et la maintenance des immeubles ". Et le standard téléphonique ? Et la gestion des badges d'accès et du restaurant d'entreprise ? Et le courrier ?

Portant, la conclusion est : " Qu'ainsi, il s'agit bien, en l'espèce, d'un transfert d'un ensemble organisé de personnes et d'éléments corporels permettant l'exercice d'une activité économique autonome poursuivant un objectif propre ".

Un transfert totalement partiel

D'autres questions subsistent. Dans les " motifs de l'arrêt " que nous citions : " Considérant [...] qu'ont été transférés les moyens humains soit la totalité des salariés de cette entité, maîtrise comprise, les matériels propres à la poursuite des activités [...] ". Il est précisé ailleurs " les services généraux d'Emap comprenaient vingt personnes ". Or, sur ces vingt personnes, seules 19 ont été, officiellement, transférées. La responsable du service est en effet restée à Emap (" maîtrise comprise "...). Et sur ces 19, 15 seulement l'ont été effectivement. L'inspection du travail a en effet refusé le transfert des quatre élus du personnel, puisqu'il y avait " discrimination ", l'intégralité de l'entité économique n'ayant pas été transférée. Il y a donc une incohérence certaine dans le jugement rendu, en contradiction avec la décision de l'inspection du travail. Pour finir, quant aux " matériels propres à la poursuite des activités ", les salariés travaillent toujours dans les locaux d'Emap, sur les bureaux d'Emap, utilisent les téléphones d'Emap, les machines à café d'Emap...

Droit maintenu : celui de se taire

L'article L 122-12 (" tous les contrats de travail en cours au jour de la modification subsistent entre le nouvel employeur et le personnel de l'entreprise "), l'article L 122-12-1 (" le nouvel employeur est en outre tenu, à l'égard des salariés dont les contrats de travail subsistent, des obligations qui incombaient à l'ancien employeur à la date de cette modification ") et la directive 2001/23/CE (relative au " au maintien des droits des travailleurs en cas de transfert d'entreprises, d'établissements ou de parties d'entreprises ou d'établissements ") se veulent garants de la protection des droits des travailleurs en cas de transfert ou cessation.

Sur cette question, cependant, la directive européenne précise (article 3-3) que " la période du maintien des conditions de travail [ne peut être] inférieure à un an ". C'est donc un maintien tout relatif. Par ailleurs, l'article 3-4-a indique que le maintien des conditions de travail " ne s'appliquent pas aux droits des travailleurs à des prestations de vieillesse, d'invalidité ou de survivants au titre de régimes complémentaires de prévoyance professionnels ou interprofessionnels existant en dehors des régimes légaux de sécurité sociale des États membres ". Ce qui restreint évidemment de manière conséquente cette prétendue garantie, pour le salarié, de conserver ses conditions de travail. Ainsi, dans le cas d'Emap, les employés ont perdu le treizième mois, le bénéfice de la complémentaire santé, ils ont perdu la participation aux bénéfices, les avantages liés au CE d'Emap (dix mois après l'externalisation, Dalkia ne leur a fourni aucune info sur ces trois derniers points)... Ce sont en fait les seules garanties figurant dans le contrat de travail qui sont " maintenues ".

1, 2, 3... intermédiaires

Dalkia FM a signé une clause de maintien à leur poste des salariés pendant cinq années. Apparemment plus généreux que la loi. La conséquence ? Ils sont poussés plus subtilement à partir. Par ailleurs, ce tout relatif maintien des droits ne s'appliquent bien entendu pas aux nouveaux embauchés... Ces derniers ont des salaires deux fois inférieurs à ceux qu'ils remplacent. Les prétendus métiers que Dalkia prétend maîtriser dans le domaine de la sous-traitance de services, c'est en fait le recours massif à l'intérim. Ainsi, à la place d'un employé salarié directement par Emap à 1500 euros mensuels, c'est aujourd'hui un intérimaire qui travaille pour 800 euros, le SMIC ou à peine plus. Où passe la différence ? Dans la poche des intermédiaires : Emap, qui fait pression sur Dalkia pour que baissent les coûts, Dalkia, qui recoure à des agences d'interim, les agences d'interim, qui recrutent de la main-d'oeuvre précaire et bon marché. L'utilité de ces intermédiaires ? Diminuer la part salariale du travail et augmenter la part financière, celle qui ira se promener de marché boursier en marché boursier, se gonfler au soleil de bulles spéculatives ou s'effondrer dans des cracks passagers.

L 122-12 : un gros calibre dans la main des patrons

Mais revenons à la loi. Pouvons-nous affirmer que l'article L 122-12 et la directive européenne 2001/23/CE n'ont pas été respectés ? Certaines irrégularités semblent flagrantes comme le transfert de la totalité des salariés. Un avocat des salariés aurait avancé l'explication suivante à la décision du tribunal confirmée en appel. Ce dernier, afin de pouvoir considérer les services généraux comme une " entité économique ", aurait tenu compte de ce qu'ils seraient au sein de Dalkia et non de leur réalité au sein d'Emap. Spécieux. Quoi qu'il en soit, une chose est sûre : cette manière d'interpréter la loi finit par la rendre caduque. A quoi sert-il de définir une " entité économique " afin de limiter les possibilités d'externalisation, si ce terme peut définir n'importe quel ensemble de salariés ? A quoi sert-il de garantir le maintien des droits des travailleurs en cas de cession si ce maintien, très incomplet, n'est de surcroît valable que pour quelques années au maximum et ne s'applique pas aux nouveaux embauchés ? Si un licenciement économique opportun de salariés " surpayés " survient peu après ?

Creusons un peu. Nous avons vu que le L 122-12 ne protège guère. De surcroît, il ne s'intéresse pas aux conditions de travail, qui peuvent être bien pires dans la nouvelle entreprise. On ne voit plus trop quelle est la protection du salarié transféré... En revanche, ses obligations, elles, sont bien réelles : s'il refuse le transfert, il est licencié pour faute grave, sans indemnités. Seuls les journalistes, grâce à la clause de cession, peuvent choisir de quitter l'entreprise en conservant leurs droits. Le L 122-12, finalement, derrière une protection illusoire, ne fait que laisser la main au patron 2.

Anticipation ou scénario catastrophe

2004. Après le succès du transfert des services généraux, la direction externalise d'autres pans des services administratifs. Agitation chez les employés. Les cadres et les journalistes ne bougent pas. Les syndicats déposent une nouvelle plainte. 2005. Pression financière accrue des actionnaires. Accélération du recours aux pigistes. Les journalistes s'agitent. Les administratifs restant ne bougent pas. 2006. Plan d'externalisation de certains services de journalistes : les essais de véhicules des titres automobiles sont confiés à un sous-traitant. Début de mobilisation. AG du personnel. Des rivalités entre services et entre syndicats font capoter la mobilisation. La direction parvient à ses fins avec quelques concessions mineures. 2008. Depuis quelques années, un prestataire de service s'est spécialisé en sous-traitance de maquette et d'iconographie pour la presse. Emap décide de franchir le pas en lui confiant d'abord le marché d'un nouveau magazine lancé à cette occasion. 2010. le dernier service de maquettiste est supprimé. Le recours de plus en plus systématique à des pigistes a rendu cela peu douloureux socialement...

On continue ?

Juridique m'a tué

Les limites de la bataille juridique sont évidentes. L'exemple des services généraux d'Emap permet plusieurs constats. D'abord, des lois, même apparemment favorables, peuvent être interprétées dans des directions insoupçonnées. Ensuite, le recours juridique comme stratégie autosuffisante est une impasse. Les employés des services généraux ont fait, seuls, circuler une pétition. Les syndicats 3 n'ont rien fait pour que ce début de mobilisation puisse déboucher sur des actions plus radicales portant atteinte aux intérêts d'Emap, susceptibles de faire jouer la solidarité avec les autres services, les journalistes et les employés. Leur action uniquement juridique a canalisé les révoltes. Au mieux, ils s'en sont servis pour se donner bonne conscience. Au pire, pour faire patienter les salariés et empêcher d'autres mobilisations. Car, à moins d'être stupides, aveugles et sourds au monde, ils ne pouvaient ignorer qu'il y avait somme toute peu de chances qu'un juge se lève pour faire barrage à la réalité du capitalisme aujourd'hui. Comme ils savaient depuis le début que leur guérilla procédurière était perdue d'avance.

Le recours juridique peut cependant apporter ponctuellement des améliorations non négligeables. Comme le récent verdict de l'été 2002 interdisant la suspension des allocations chômage prévue dans le cadre du Pare.

Mais seule la lutte est déterminante. Elle seule aurait pu stopper l'externalisation à Emap. Tous les salariés, en l'occurrence, auraient dû se sentir concernés, et le rôle des syndicats est de fédérer les énergies, mais aussi d'expliquer les enjeux, de dépasser les mesquineries et les égoïsmes. Au moins d'essayer.

L'externalisation, c'est con...

D'un stricte point de vue rationnel, l'externalisation semble aberrante. L'exposé des motifs du jugement stipule : " améliorer le coût de la prestation, homogénéiser la prestation, améliorer la qualité de la prestation, [...] simplifier la gestion de la prestation ". Seule la première explication est la bonne. Comment donc l'externalisation d'un service intégré pourrait-il améliorer son fonctionnement ? Désormais, lorsqu'une ampoule doit être changé, au lieu de passer un coup de fil ou de rendre visite à un collègue de bureau, il faut contacter une hotline, qui envoie un ordre de mission au responsable détaché sur le site, qui s'occupe de l'accomplissement de la mission et qui doit finalement renvoyer l'ordre de mission rempli et paraphé à ses services centraux. De plus, le recours quasi unique à des intérimaires sans formation, avec des roulements importants, travaillant pour une misère et sans aucune implication personnelle dans l'entreprise, ne peut que contribuer à dégrader la qualité et l'efficacité du service fourni.

... mais ça rapporte !

Mais alors, quel intérêt pour les dirigeants d'externaliser des services ? Les groupes transnationaux sont soumis à des impératifs de rentabilité, accrus par la présence importante des fonds de pension dans leur capital. Ces derniers exigent une rentabilité annuelle (de leurs investissements) de 15%. Cette logique est bien entendu extrêmement destructive socialement : précarisation, licenciements massifs, baisse des coûts du travail, dégradation générale des conditions de travail. Même pour les entreprises, elle s'avère perverse : obligées de réduire drastiquement leurs coûts de fonctionnement, elles se retrouvent in fine avec trop peu de moyens pour survivre. Il n'est pas rare que des salariés ou des syndicats dénoncent vainement des gestions suicidaires. Censés assurer les retraites, les fonds de pension participent donc puissamment à la surexploitation des actifs 4, tout en soumettant le versement des retraites aux aléas du marché... L'intérêt, pour les salariés, est nul. Pour les financiers, il s'agit d'une manne financière fantastique. Récemment, aux USA, les premières victimes de ce système ont vu leur épargne capitalisée disparaître en fumée dans la chute d'empires comme Enron.

Un bon salarié est un salarié isolé

Dans une activité industrielle subitement soumise à de tels impératifs financiers, l'objectif primordial devient donc " augmenter la marge ". La concurrence féroce interdit d'augmenter le prix de vente des produits. Bien souvent, au contraire, une autre pression vient de l'obligation de les diminuer pour affronter des entreprises délocalisées dans des pays bien moins exigeants socialement. Restent les coûts de fabrication, et particulièrementlamain-d'oeuvre. Dans certains pays, les luttes sociales du XIXe et du XXe siècles ont permis d'améliorer de manière importante le sort des travailleurs. Il s'agit donc de revenir sur ces acquis. Attaquer de front est pourtant souvent périlleux : malgré la déliquescence de la conscience de lutte (dont les raisons sont diverses, mais qu'il faut aussi relativiser), la capacité de mobilisation des salariés reste redoutable, des solidarités existent qui contrarient la remise en cause des acquis salariaux durement conquis sur les bénéfices. Ceci, principalement, dans les bastions de la grande industrie, où l'histoire collective des luttes reste vivante.

Prenons l'exemple des constructeurs automobiles. Ces " constructeurs " sont le plus souvent devenus de simples assembleurs. L'externalisation des activités de fabrication des pièces a permis de réduire considérablement le nombre de salariés bénéficiant des acquis obtenus par de nombreuses luttes très dures. La pression sur les salariés ne dépend plus de Peugeot, ou Renault, mais d'un obscur sous-traitant, d'une petite entreprise sans syndicat, avec des salariés isolés, fragiles. Et si l'entreprise en question n'est pas capable de proposer les tarifs les plus bas, c'est-à-dire la plus grande pression salariale, Renault ou Peugeot change de fournisseur, acculant le précédant à la faillite. Entre les salariés du commanditaire et ceux du fournisseur, pas de solidarité.

L'externalisation répond donc à ce triple objectif " social " : réduire le champ d'application des conquêtes sociales dans les entreprises ; pouvoir exercer une pression féroce sur les salariés par l'intermédiaire du sous-traitant sans risque d'être confronté à une agitation sociale ; disperser les travailleurs qui oeuvrent directement ou indirectement pour l'entreprise afin d'empêcher que s'exercent les solidarités, afin d'éclater et d'individualiser les luttes.

Le projet ? Une classe résiduelle de " privilégiés " continuant à bénéficier des acquis antérieurs, qui dépendront directement de l'entreprise. Une classe de salariés précaires, intérimaires, pigistes, intermittents, dont on utilisera les services directement ; des salariés isolés dépendant de sous-traitants leur imposant des conditions minimales imposées par la loi.

Et alors ? Le syndicalisme !

L'objectif syndical doit être : lutter systématiquement contre toute tentative d'externalisation ou autre manoeuvre assimilable ; lutter pour la réintégration dans l'entreprise de tous les services sous-traités (nettoyage, etc.) ; lutter pour limiter le recours aux précaires à la stricte nécessité (remplacement en cas de maladie ou vacances, besoin structurel...), tout en leur assurant des conditions optimales ; créer des passerelles entre les salariés des différentes " entités économiques " qui travaillent de fait dans la même entreprise, créer des contacts syndicaux, informer les salariés des diverses réalités afin de faire renaître des solidarités, qui ne peuvent exister que par la connaissance de l'autre. A Emap comme ailleurs. Le syndicalisme révolutionnaire, face à l'incurie des appareils bureaucratiques, est le seul outil qui peut nous permettre de reprendre l'initiative dans les lieux de production. Si nous sommes à la CNT, c'est avec tous les camarades sincères, syndiqués ailleurs ou non syndiqués, que nous devons avancer. Leur futur ne nous convient pas, construisons le nôtre ensemble. Sans attendre.

SIPM, salariés d'Emap

1) Voir encadré " Emap, un empire de presse ", p. X.

2) Voir " L 122-12, un gros calibre dans la main des patrons ", Combat syndicaliste n° 207

3) Voir encadré " Syndicats : aveugles ou sourds ? ", p. X.

4) Voir encadré " La souffrance des ressources humaines ", p. X.

 

Emap, un empire de presse

EMAP est une multinationale britannique des médias, issue d'une coopérative d'éditeurs créée en 1947, très implantée en Europe (France, Allemagne - 13 titres -, en Suisse 3 titres - et aux Pays-Bas), présente en Australie (17 titres) et dans le Sud-Est asiatique (11 titres).

Deuxième éditeur britannique avec 169 titres et 4000 salariés au Royaume-Uni, le groupe a investi également le multimédia, la radio (18 fréquences) et la télévision. Chiffre d'affaire pour l'exercice 2000-2001 : 1810 millions d'euros.

EMAP France, principalement implanté dans la presse magazine et spécialisée, s'est installé dans le multimédia grâce à une alliance avec Wanadoo. C'est le troisième groupe de presse en terme de diffusion : 24,97 %, après Bayard (42,02) et Prisma (28,87). EMAP ne s'est pourtant installé en France qu'en 1991, en achetant , en association avec Bayard presse, Le Chasseur français. Le groupe affiche un chiffre d'affaires de 375,2 millions d'euros en 2001. Il compte 23284000 lecteurs en moyenne de juillet 2001 à juin 2002.

Parmi ses 43 titres, on trouve de grosses pointures de la presse magazine (Top santé, FHM, Auto plus, Pleine vie, Télé poche...). 23462000 personnes lisent au moins un titre EMAP, soit 49,5% de la population de plus de 15 ans. Le groupe peut se vanter " Un français sur deux lit un titre EMAP. "

Le PDG est Arnaud de Puyfontaine.

Pour finir, puisqu'il semble bien que ce soit le moins important aux yeux des dirigeants, un millier de salariés travaillent à assurer les seuils de rentabilité imposés par les groupes financiers actionnaires d'Emap.

L'objectif, vis-à-vis des actionnaires : devenir le deuxième groupe de presse en France, avec la meilleure progression. Lors des négociations salariales, cela se transforme en " limiter les dégâts dans un contexte difficile ".

 

Syndicats : aveugles ou sourds ?

Sur un tract A3 diffusé par la CGT (le syndicat le plus combatif à Emap), l'essentiel se rapporte aux questions de salaires. Une situation qualifiée d'" intolérable ", de " consternante ". Le syndicat affirme : " Nous ne saurions nous contenter d'expliquer et de dénoncer. Nous voulons une négociation authentique sur nos axes revendicatifs. "

Belle combativité. On s'attend à une particulière virulence à propos de l'externalisation d'un service. Ce n'est pas le cas. Un encadré en bas à gauche. Pour s'opposer au " désastre annoncé ", il préconise " exprimons notre mécontentement aux responsables de l'externalisation "... Par une AG du personnel ? Un débrayage ? Non, pas même par une pétition, qui sera la seule initiative des externalisés. On n'en saura pas plus sur comment " exprimer son mécontentement ".

Lorsque Mme F., passant devant la salle où se réunissait le CE à propos de l'externalisation, a vu les élus des syndicats boire le champagne avec la direction, ça l'a énervé. Lorsqu'elle a croisé ensuite un élu de la CGT, elle lui a demandé des explications. Gêné, celui-ci lui a répondu en substance : " Les autres syndicats refusent de bouger, si ça ne tenait qu'à nous... " ; et " S'il y avait eu des élus CGT aux services généraux, alors... " Cet entretien n'a pas calmé Mme F.

Les autres syndicats ? Inutile d'en parler. La plupart fleurissent au moment des élections, ou pour rappeler comment les journalistes doivent calculer leur abattement. Les élus CFDT du service externalisé sont, eux, restés salariés d'Emap (pour crédibiliser le syndicalisme, bien vu !).

 

La souffrance des " ressources humaines "

Il y a quelque temps, il a été à la mode, dans les médias, de parler de " souffrance au travail ". La mode aujourd'hui est plutôt au terrorisme, à l'insécurité.

M. R se rappelle. " Un jour, une jeune fille en CDD a dormi par terre dans son bureau, parce qu'elle n'avait plus de RER pour rentrer chez elle, à deux heures de Paris. Son chef lui mettait la pression, pour qu'elle finisse son travail. L'histoire a été étouffée. Le CDD n'a pas été renouvelé. "

M. R travaillait à Emap. Mais il s'est fait " externaliser ". Il s'entendait bien avec ses collègues, avant qu'ils deviennent ses " clients " (consignes de la nouvelle direction : " Vous devez les considérer comme vos clients ! ").

M. R a travaillé toute sa vie. Pendant dix ans, il a travaillé au noir, dans la restauration. Ca, c'est ennuyeux, pour la retraite. Avec ce qui lui tombe sur la tête, les dernières années de cotisation deviennent floues... Ensuite, il a été chauffeur, ouvrier à Billancourt... " C'était avant, il y a longtemps. C'est sûr, il y avait aussi des injustices, des inégalités. Mais on était considéré, on avait la sécurité, on était plus heureux que maintenant. " C'est fou ! Le salarié de base est conservateur, le progrès lui fait peur...

Finalement, il s'est retrouvé aux services administratifs, chez Télé Star. En 1996, Emap a racheté le titre. " J'avais déjà vécu une rupture douloureuse il y a cinq ans. Et là, une nouvelle cassure. " Mais la lutte contre l'insécurité sociale, elle, n'est pas à l'ordre du jour. Cela n'entre en compte ni dans les lois ni dans les stratégies économiques. " Emap et Dalkia décident pour les gens sans leur demander leur avis. De quel droit décident-ils pour nous ? Ce n'est pas honnête. " L'honnêteté n'est pas davantage un critère déterminant. L'angoisse de l'avenir, la retraite compromise, la perte de repères ; les responsables ne sont pas malhonnêtes aux yeux de la loi. Certes, cela témoigne d'un mépris certain. Mais l'exploitation est légale.

Et puis, peut-être M.R. a-t-il tendance a prendre les choses du mauvais côté. Dans un mél envoyé le 19 mars 2002, monsieur Arnaud de Puyfontaine l'avait pourtant précisé : l'objectif est d'" offrir de plus larges perspectives d'évolution professionnelles aux vingt personnes concernées ".

Enfin, comme disait l'autre, l'histoire est finie, et la lutte des classes n'existe plus. Ouf !