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SIPM-CNT
Correspondants locaux de presse, c’est pas la joie !
Une CLP du syndicat
vendredi 3 septembre 2004
La PQR (presse quotidienne régionale) recourt abondamment aux CLP. Pour un patron, c’est l’idéal, ils ne sont pas même salariés...
Les petites mains réparties sur tous le territoire, qui "font" la presse locale, ne bénéficient d’aucun des droits communs aux journalistes. Cela est considéré comme une activité d’appoint, lorsque pour beaucoup il s’agit de l’unique source de revenus. Tour d’horizon.
Nombre de journaux, essentiellement de la presse quotidienne régionale (PQR), sollicitent la contribution régulière de personnes qui ne sont ni salariées, ni pigistes, ni même officiellement journalistes : les correspondants locaux de presse (CLP). Légalement, ces personnes « contribuent selon le déroulement de l’actualité à la collecte des informations de proximité ». Légalement toujours, « l’activité de correspondance est accessoire et ne donne pas lieu à un contrat de travail en tant que tel ». Autrement dit, l’activité devrait être ponctuelle et répondre à une demande émanant d’un journal qui ne pourrait envoyer un de ces journalistes sur place. C’est pourquoi il est précisé que le correspondant peut « gérer librement son activité » et qu’il ne peut « lui être imposé aucun horaire ». La règle en vigueur est celle du rattachement au régime des non-salariés, et les revenus engendrés ne doivent pas dépasser plus de 15 % du plafond annuel de la Sécurité Sociale, au-dessus duquel le correspondant doit s’immatriculer et cotiser auprès de l’URSAAF en tant que professionnel libéral. Aucun droit du travail n’est donc applicable au correspondant local de presse qui n’est pas reconnu comme travailleur du (ou des) journaux dans le(s)quel(s) il écrit.
Si l’activité était effectivement épisodique, cela pourrait peut-être passer, et encore, mais il faut savoir que beaucoup de CLP n’ont d’autre activité et qu’ils vivent donc de ces correspondances. Et pour vivre de cela, il faut en vouloir ! En effet, le niveau de rétribution du « dédommagement » est extrêmement bas. Exemple dans un PQR aquitain... Une brève : 0,8 €. Un papier : 3 €. Une nouvelle importante développée : 11 €. Une photo publiée : 1,8 €. Un kilomètre : 0,21 €. Le CLP doit ainsi cumuler les papiers, et il rogne quelques centimes d’euros sur les kilomètres...
Ce statut est reconnu depuis 1993, et il serait peut-être temps au bout de dix ans de se poser la question de savoir si cette activité n’est qu’un simple hobby amusant des personnes au temps trop libre, ou une forme de journalisme sous-payé, de réel travail déguisé... Voyons le cas de Ouest-France, le quotidien français au tirage le plus important. Le journal utilise 2 700 CLP. Selon le DRH, « les correspondants sont des informateurs, qui exercent cette activité en complément de leur activité principale ». Mais que dire alors de ces chômeurs, qui touchent leurs ASSEDIC, et qui exercent cette activité pour subvenir à leur besoin les plus sommaires ? Tous n’ont pas « une activité principale », loin de là... Pour les journaux, tout est bénéfique : pas de contrat de travail à signer, pas de cotisations sociales à payer, des charges minimales pour toute indemnisation, et de quoi remplir allègrement les pages locales de la PQR ! Le directeur de l’information de Ouest-France dit lui-même tous les avantages que lui procurent les CLP, les envisageant comme des « personnes ancrées dans les territoires, au don d’ubiquité qu’aucun journaliste ne pourrait remplacer ». Et il va jusqu’à ajouter le plus placidement du monde que, sans les CLP, « la France serait sourde, muette et aveugle. Elle a reconnu qu’il n’était pas souhaitable de faire peser des taxes sur leur travail »... Et vive la France ! Pour le CLP, rien à gagner : pas de contrat, pas de cotisation aux ASSEDIC, pas de cotisation à la retraite, pas de couverture sociale, pas de congés, pas de reconnaissance, et souvent une incompréhension face aux « vrais » journalistes qui les considèrent souvent comme des plaisantins voire des concurrents.
Selon les rédacteurs, les écrits des CLP sont systématiquement revus par des « journalistes professionnels », ce qui est entièrement faux. Certains CLP ont vu passer leurs articles sans jamais aucune modification, les fautes d’orthographe étant même restées en l’état ! Sans doute ces journaux ont-ils aussi besoin de correcteurs, mais ceux-ci doivent coûter trop cher... Quant aux articles écrits par les CLP et qui ne passent finalement pas, là aussi le directeur de l’information de Ouest-France a une réponse : les articles sont parfois trop nombreux et cela démontrerait l’attachement de ces collaborateurs à l’entreprise ! Pourtant, des mécontentements commencent à se faire entendre, certains CLP demandant à recevoir plus d’égards, d’autres demandant un vrai statut de journaliste, exerçant cette activité « à temps plein ». Car le temps est également un élément à prendre en compte : pour couvrir un événement, il faut s’y rendre, y assister, revenir, et enfin l’écrire. Soit de 30 minutes à 2 heures quand ce n’est pas plus... le tout pour toucher parfois seulement 3 € ! Et ne pensez pas à critiquer ce statut : il serait impossible financièrement d’employer ces personnes (toujours les charges sociales...), et cela serait un manque de respect envers eux qui aiment tant cette activité.
Certains CLP espèrent que cette activité débouchera à long terme sur un statut salarié, mais cela se produit très rarement. Le milieu des journalistes est solidaire quand il s’agit de défendre leur propre statut, mais les CLP sont délibérément ignorés car ils ne sont pas salariés de l’entreprise. Ainsi, selon un délégué CFDT de Ouest-France, « le débat n’a pas lieu d’être »... Pourtant, s’il n’y a effectivement pas de contrat écrit, il existe un contrat oral entre la direction et le CLP, et il s’agit donc d’un travail commandé, induisant un rapport de subordination similaire au salariat. Les CLP sont donc en droit de revendiquer un statut de pigiste, et certaines initiatives commencent à aller en ce sens, comme la création l’association « Presse-papier » à Nantes qui revendique l’amélioration de ce statut qui fait pour l’instant des CLP de véritables soutiers de l’information.
Mari, SIPM-CNT, février 2003