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Comment se mettre en grève
vendredi 22 avril 2016
Informations juridiques sur le droit de grève et ses différentes applications.
I. BASES DU DROIT DE GRÈVE
Nous voulons ici donner quelques éléments de droit pratique pour l’action syndicale, mais il va sans dire que ce ne sont que des outils dans la construction du rapport de force entre les travailleurs d’un côté, l’État et le patronat de l’autre, rapport de force qui reste primordial pour l’obtention de victoires sociales.
Dans le privé
Les critères de la jurisprudence
À défaut d’une définition légale, la jurisprudence (Cour de cassation) caractérise la grève comme « la cessation complète, collective et concertée du travail en vue de faire aboutir des revendications d’ordre professionnel ». Cette définition permet aux tribunaux de distinguer : 1) la grève licite : hypothèse dans laquelle les critères posés par la Cour de cassation sont remplis et où les salarié.e.s font un « exercice normal » de ce droit ; 2) la grève abusive : hypothèse dans laquelle les critères posés dans la définition sont remplis, mais où les salarié.e.s exercent « anormalement » ce droit) ; 3) les mouvements collectifs illicites, auxquels ne s’appliquent pas les dispositions légales relatives au droit de grève et notamment celles qui assurent la protection de l’emploi des participant.e.s.
Ces critères sont :
a) La cessation complète du travail : La grève se caractérise essentiellement par un arrêt total du travail. La forme et la durée de cet arrêt de travail importent peu. La jurisprudence qualifie ainsi d’exercice normal du droit de grève : • les débrayages, même répétés et de très courte durée, dès lors qu’ils ne procèdent pas d’une volonté des salarié.e.s de désorganiser l’entreprise ou de nuire à sa situation économique (Cass. soc., 10 juillet 1991) ; • les grèves tournantes, qui consistent en des arrêts de travail touchant successivement une catégorie de salarié.e.s ou différents services de l’entreprise (Cass. soc. 14 janvier 1960) sauf si elles désorganisent totalement l’entreprise (Cass. soc, 4 octobre 1979). La grève tournante est en revanche interdite dans le secteur public (sauf pour le personnel des communes de 10 000 habitants et moins).
b) La cessation collective et concertée du travail : La légalité de la grève n’est pas subordonnée à l’ampleur (pourcentage ou nombre de salarié.e.s concerné.e.s) de la cessation collective du travail. Sont admises les grèves qui ne concernent qu’une minorité de salarié.e.s (catégorie professionnelle, atelier ou service d’une entreprise, etc.), voire un.e seul.e salarié.e, dès lors que cellui-ci obéit à un mot d’ordre national ou qu’il/elle est le/la seul.e salarié.e de l’entreprise. Mais attention, la poursuite de l’action par une minorité de salarié.e.s, après un vote de reprise du travail par la majorité (les grévistes ayant considéré leurs revendications comme satisfaites), constitue un mouvement de grève licite uniquement si cette minorité présente de nouvelles revendications.
c) Les revendications professionnelles : Cette notion est très large, puisque sont considérées comme des revendications professionnelles celles portant sur les rémunérations, les conditions de travail, la défense de l’emploi, les droits syndicaux, les projets de restructuration ou de licenciements économiques, etc. Par ailleurs, les revendications des salariés peuvent dépasser le simple cadre de l’entreprise (grèves générales nationales, pour les salaires ou les retraites, par exemple). En ce qui concerne les grèves « politiques », il est admis que les grèves « mixtes » (sur des revendications qui revêtent à la fois un aspect politique et un aspect professionnel, par exemple une grève contre la politique économique et sociale du gouvernement) sont licites. En revanche, seront considérés comme des mouvements illicites ceux qui revêtent un caractère purement politique, sans rapport aucun avec des questions d’ordre professionnel. Un autre cas spécifique est celui des grèves de solidarité. Celles-ci, qui ont pour but de défendre les intérêts d’autres salarié.e.s, par exemple pour protester contre des licenciements, ne seront licites que si les grévistes peuvent se prévaloir d’un intérêt collectif, de revendications professionnelles les concernant elleux-mêmes.
Les modalités de la grève
a) Le déclenchement : Dans les entreprises privées la loi n’impose aucun préavis. De plus, selon les juges, une convention collective ne peut limiter ou réglementer, pour les salarié.e.s, l’exercice du droit de grève. Seule la loi peut créer un délai de préavis, une procédure préalable de conciliation ou d’attente, qui s’impose aux salarié.e.s. Les clauses des conventions collectives qui ont pour objet de réglementer ou de limiter le droit de grève ne leur sont donc pas opposables. Mais pour que le mouvement collectif soit licite, il faut que l’employeur.se ait eu connaissance des revendications des salarié.e.s. Toutefois, ces derniers n’ont pas à attendre la décision du chef d’entreprise pour déclencher le mouvement, ce qui autorise les grèves « surprises ».
b) Le déroulement : Au cours d’un mouvement collectif licite, les grévistes peuvent organiser des piquets de grève ou procéder à l’occupation des lieux de travail. La participation à un piquet de grève n’est pas automatiquement fautive, dès lors que les salarié.e.s ne se sont pas rendu.e.s coupables d’entraves à la liberté du travail ou de voies de fait. De même, l’occupation des lieux de travail, lorsqu’elle se prolonge ou qu’elle constitue une entrave à la liberté du travail ou une voie de fait, peut être considéré comme une faute lourde.
Dans le public
Le droit de grève est reconnu aux agents des trois fonctions publiques (d’État, territoriale et hospitalière). La loi du 19 octobre 1982 impose le dépôt d’un préavis au minimum cinq jours avant par « l’organisation ou une des organisations syndicales les plus représentatives », sans préciser les critères. Il doit notifier le lieu, la date et l’heure de début, la durée envisagée et les motifs (ex. : grève politique interdite, il faut définir des revendications professionnelles). Pour une grève, même d’une heure, l’administration prélève un jour de salaire (1/30e du salaire mensuel par jour). L’arrêt « Omont » du Conseil d’État pénalise fortement la grève des fonctionnaires : s’ils/elles font grève la veille d’un congé, ce congé est compté comme grève, donc non payé (!).
Une nouvelle circulaire relative à l’exercice du droit syndical dans la fonction publique de l’État a été publiée le 16 juillet 2014. Elle explicite le nouveau cadre réglementaire de la gestion des droits et des moyens syndicaux dans la FPE résultant des modifications du décret n° 82-447 du 28 mai 1982 intervenues en 2012 et 2013.
Service minimum, préavis et réquisition
Certains agents doivent assurer un service minimum (les agents hospitaliers, les agents de la navigation aérienne et le service public de la radio-télévision).
Dans les écoles maternelles et élémentaires, si l’enseignant est absent, un service d’accueil des élèves doit être mis en place par la commune ou les services de l’Éducation nationale (en cas de plus de 25% d’intentions de grève déclarées).
Dans le secteur public (préavis de 5jours) et certaines entreprises, un préavis est nécessaire, par exemple les transports de voyageurs ou la collecte des déchets, où des procédures spécifiques sont mises en place.
En cas de grève portant gravement atteinte à la continuité du service public ou aux besoins de la population, certains agents peuvent être réquisitionnés. La réquisition peut être décidée par les ministres, les préfets ou les directeurs des structures répondant à un besoin essentiel. Elle doit être motivée. Elle peut faire l’objet d’un recours devant le juge administratif.
II. CONSÉQUENCES DE LA GRÈVE
La grève ne rompt pas le contrat de travail, sauf faute lourde imputable au salarié. Le contrat n’est que suspendu pour la durée du conflit. L’exercice « normal » du droit de grève ne peut donc donner lieu de la part de l’employeur à des mesures discriminatoires en matière de rémunération et d’avantages sociaux. En aucun cas l’employeur ne peut établir de discriminations entre les salariés grévistes et les non-grévistes.
L’incidence de la suspension du contrat sur la rémunération
La suspension de l’exécution du contrat de travail entraîne l’interruption de la prestation de travail et dispense l’employeur du versement de la rémunération (salaire, compléments et accessoires).
• Incidences sur le salaire
L’abattement opéré sur le salaire des grévistes doit être strictement proportionnel à la durée de l’arrêt de travail. Aucune réduction supplémentaire n’est possible, ni en raison d’une perte de production résultant de la grève, ni pour compenser le temps consacré à la remise en marche des machines. Toute retenue de ce type constituerait une sanction pécuniaire, par principe prohibée.
• Incidences sur les primes
De nombreuses conventions collectives instituent des primes dont les principes de versement et les montants sont liés à une condition de présence du salarié dans l’entreprise (prime d’assiduité, de productivité, d’intéressement, de participation, etc.). L’employeur pourra tenir compte de la grève pour ne pas verser ou réduire le montant de ces primes, uniquement si le texte qui les institue (note de service, convention collective, etc.) prévoit les mêmes restrictions d’attribution, quel que soit le motif de l’absence (maladie, congés, etc.).
• Incidences sur les jours fériés et les congés
Lorsqu’un jour férié ou chômé est compris dans la période de grève, l’employeur n’est pas tenu de le payer. L’employeur peut ne pas prendre en compte les périodes de grève dans le calcul de la durée des congés payés annuels, cette durée devant être déterminée en fonction du temps de travail effectif du salarié.
• Incidences sur l’indemnisation de la maladie
L’employeur n’aura pas à verser les allocations complémentaires aux indemnités de sécurité sociale aux salariés grévistes qui tombent malade au cours de la grève.
La rupture du contrat en cas de faute lourde
La suspension du contrat de travail des salariés grévistes a pour effet de suspendre (dans une certaine mesure) l’exercice du pouvoir disciplinaire de l’employeur.
Seule une faute lourde commise par un gréviste peut autoriser à son encontre une sanction disciplinaire ou un licenciement. La faute lourde se définit comme une faute d’une gravité particulière, qui révèle l’intention de nuire de son auteur. Elle peut être commise à l’occasion d’un mouvement collectif licite (grève) par un ou plusieurs salariés. En cas de grève, il s’agit le plus souvent de voies de fait, violences, séquestration, coups et blessures ; d’entraves à la liberté du travail, etc. Mais le simple fait de participer à un mouvement collectif illicite, indépendamment de l’attitude de chaque salarié, est constitutif d’une faute lourde.
La faute lourde constitue un motif légitime de licenciement sans préavis ni indemnités. L’employeur est toutefois tenu de respecter la procédure individuelle de licenciement (entretien préalable, notification du licenciement) et la procédure spéciale de licenciement applicable aux représentants du personnel (autorisation préalable de l’inspecteur du travail).
Les réponses patronales à la grève
Si le droit de grève est encadré, la réaction patronale l’est également. Le lock-out n’est possible que dans certaines conditions : il faut que la grève crée une situation contraignante, rendant impossible la poursuite d’une activité normale. Ce sont souvent des questions liées à la sécurité qui sont avancées ou au risque de violence lors d’une occupation. Mais dès lors que la nécessité n’est pas démontrée, les jours perdus devront être payés.
Le remplacement des grévistes est une situation à laquelle se trouvent régulièrement confrontés les militants. La règle est relativement simple. Il est interdit de recourir à des salariés sous contrats à durée déterminée et/ou à des intérimaires pour remplacer des salariés dont le contrat de travail est suspendu en raison d’un conflit collectif.
Au-delà de ces quelques règles juridiques, il convient de retenir que le rapport de force constitue un atout inestimable. Mais la criminalisation croissante des mouvements sociaux (voir People and Baby ou les Goodyear...) constitue une nouvelle donne avec laquelle il faut compter.
Quelques liens CNT complémentaires :
- http://www.cnt-f.org/59-62/wp-content/uploads/Le-droit-de-grève.pdf
- http://www.cnt-f.org/le-droit-de-greve.html
Quelques liens de syndicats autres que la CNT :
- Solidaires : http://www.solidaires.org/Fiche-no-7-Le-droit-de-greve-en-11-questions
- CGT : http://www.cgt.fr/-Droit-de-greve-.html
Quelques liens officiels ou non militants :
- https://www.service-public.fr/particuliers/vosdroits/F117
- http://www.fonction-publique.gouv.fr/droit-syndical-et-droit-de-greve
- http://travail-emploi.gouv.fr/droit-du-travail/litiges-individuels-et-conflits-collectifs/article/la-greve
- http://infosdroits.fr/le-droit-de-greve-des-salaries-dans-le-secteur-prive-declenchement-formes-consequences-retenues-sur-salaire/