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Jean-Marie Colombani aux salariés du groupe Le Monde
"Cher (e) ami (e)"
Mis en ligne par les adhérents SIPM du groupe Le Monde
mercredi 1er décembre 2004
Hola, Jean-Marie, que de familiarités ! Un magnifique texte de notre bien-aimé dirigeant. Lyrique. Vu l’état du groupe, il faut bien ça...
Remarques liminaires (lettre de JM Colomnbani aux salariés plus bas) :
– la "cohésion", pour Jean-Marie, c’est la capacité du personnel à se faire virer sans lutter ;
– dans les raisons des difficultés de la "période", la politique d’acquisitions tous azimuts à des prix pharaoniques est "oubliée" ;
– la cohésion, c’est pas le dialogue, puisque la route à venir est imposée par le leader maximo, paré des atours de "l’Histoire" (rien que ça !)
– vieille lune, on fait l’éloge de ce qu’on veut détruire : le contrôle par les salariés et l’indépendance, alors que l’objectif est d’ouvrir le capital !
– étrangement, Jean-marie le Guide suprême reconnaît que l’ouverture du capital est un "dogme". Pas rationnel, répondant à une nécessité... un dogme, le dogme libéral ?
– Mégalo, le gourou libéral du Monde ? "Fort de ce dogme, c’est donc naturellement que nous nous apprêtons à ouvrir le capital du Monde SA." Le "nous" de majesté, s’il nous plaît !
– Quand même, Jean-Marie est démocrate : après avoir annoncé ses décisions, il s’ouvre au débat avec l’ensemble du personnel... C’est marrant, on pensait que le débat, c’était avant...
Mais le plus beau, c’est la dernière phrase. Juste après avoir reconnu que les belles paroles ne servaient à rien... C’est simple, on n’a pas pu retenir nos larmes.
Cher(e) ami(e),
L’accord signé au Monde avec l’intersyndicale, le 18 novembre, autorise la mise en place du plan de départs volontaires au sein du quotidien. Cet accord est important à plus d’un titre : il montre que Le Monde sait réagir au point de consentir lui-même des sacrifices aussi douloureux soient-ils. Et ils le sont. Il permet aussi de définir la dynamique dans laquelle nous pouvons désormais nous inscrire pour traverser la crise grave que connaît la presse écrite, et plus gravement la PQN.
La période que nous vivons est difficile. Plus difficile que prévue : le recul de la diffusion de la presse de qualité et l’atonie publicitaire persistante en sont les caractéristiques les plus visibles. Elle est complexe aussi car tous les paramètres de notre environnement sont en mouvement, nos modèles économiques mêmes semblent mis en cause, nos concurrents et confrères changent de nature et de dimension. Elle est donc vécue avec une inquiétude forte et légitime. A mon poste, il m’appartient d’y répondre. Nous sommes à un moment de vérité : notre degré de cohésion est notre meilleur atout. J’ai décidé de vous exposer, ici, les étapes qui vont désormais jalonner notre route et de fixer les points de repères qui nous sont indispensables pour garder un cap que l’histoire du journal nous impose.
Beaucoup d’entre vous n’ont pas connu la crise du Monde de 1994. Elle était sans précédent : la diffusion était à son niveau le plus bas, les fonds propres étaient négatifs et la trésorerie gérée au jour le jour. Collectivement, nous avons élaboré un projet : relancer le quotidien, fédérer d’autres titres, construire un groupe de presse indépendant. Ce pari, nous l’avons réussi. Le but n’était pas de grandir pour grandir. Non, nous voulions nous mettre hors de portée de la menace récurrente des retournements de cycle. La vérité impose d’admettre que, sans la constitution du groupe, Le Monde aurait été balayé par la crise. Si nous pouvons nous projeter vers l’avenir, c’est la puissance du nouveau groupe qui nous le permet.
Il m’appartient maintenant, avec vous, de continuer à prouver que nos particularités - la place de l’actionnariat salarié est, à cet égard, essentielle - nourrissent notre dynamique collective.
La période actuelle est une phase de transition : nous devons redéfinir la place du Monde au sein du groupe qu’il a construit. Les autres entités de notre groupe - le pôle régional, le pôle magazine et livres, le pôle internet et les régies publicitaires - ne doivent pas vivre à l’heure du seul Monde. Elles peuvent mettre en place leur propre développement. Pour nous, ces questions sont nouvelles. En réalité, nous avons à donner une architecture à ce nouveau groupe de presse et à lui donner des modes de fonctionnement qui nous permettront de rebondir. En clair, la mission qui m’incombe est de réussir cette mise en oeuvre.
De quoi souffrons-nous aujourd’hui ? D’une confusion et d’un manque de lisibilité car tout est dans tout. Nos structures vont donc être simplifiées et clarifiées. Le Monde va devenir une filiale. Il retrouvera ainsi un lien clair avec ses lecteurs. Les enjeux d’entreprises, en effet, ne sont pas et ne doivent pas être leur problème quotidien.
La filialisation avait été demandée par la Société des rédacteurs du Monde (SRM). Elle a été actée. Elle interviendra au terme de procédures légales lors de nos assemblées générales, en juin 2005. Elle sera précédée d’un débat « institutionnel » qui permettra de déterminer la nature des verrous particuliers destinés à conforter l’indépendance du Monde, au profit de la SRM et des autres sociétés de personnels.
Au même titre que les autres publications du groupe, Le Monde pourra vivre sa vie, en bonne harmonie, évidemment, avec la stratégie générale du groupe. Chacun à son propre rythme : le Groupe des journaux du Midi approche du moment de sa relance éditoriale, après avoir passé avec succès sa restructuration industrielle ; le pôle magazine et livres, qui subit inégalement la crise, devra proposer une stratégie de développement ; le pôle internet élabore une nouvelle phase offensive qui doit succéder à celle conduite, avec succès, depuis cinq ans.
Soyez en convaincus, seule l’existence du groupe peut nous permettre de sortir victorieux de la crise actuelle. En France ou à l’étranger, les exemples ne manquent pas pour nous le prouver. Il ne peut donc être question de l’amoindrir, de l’atrophier ou de l’amputer. Notre devoir est de le consolider à partir de ses points forts et de le renforcer financièrement par une recapitalisation.
La consolidation implique que le groupe puisse évaluer la pertinence de céder des activités non stratégiques, notamment ses actifs immobiliers, et qu’il parachève sa participation dans le groupe des Journaux du Midi. La recapitalisation - chacun étant jugé à l’aune de ses fonds propres - est indispensable en raison d’une quatrième année déficitaire. En 2004, ces pertes seront aggravées par des charges exceptionnelles dues à l’application des accords sociaux au Monde Imprimerie et à celle du plan de départs volontaires au Monde.
Cette recapitalisation, qui nous redonnera aussi les moyens de notre développement, ne peut se faire, et ne se fera, qu’en respectant les « fondamentaux » de notre indépendance.
Le contrôle du groupe se situe au sommet de notre édifice, dans la société constituée en 1994. Elle est conçue et vécue comme une quasi-fondation détenue à plus de 40% par les personnels de tout le groupe. Avec 52%, les actionnaires dit « internes » y sont majoritaires. Cette entité, momentanément appelée Le Monde Partenaires Associés (LMPA), possède 97% du véhicule de pilotage du groupe, Le Monde SA, qui, à son tour, contrôle l’ensemble de nos activités. Le Monde SA est, par définition, la société qui peut être ouverte jusqu’à 49% de sorte que LMPA en garde toujours le contrôle.
Le Monde SA avait été bâti pour que nous puissions ouvrir une perspective boursière. En respectant un impératif : ne pas franchir le seuil qui ferait basculer son contrôle. L’horizon boursier a disparu mais l’impératif demeure. Fort de ce dogme, c’est donc naturellement que nous nous apprêtons à ouvrir le capital du Monde SA.
Cette recapitalisation est fondamentalement différente de celle que nous avions induite, il y a dix ans. Son ampleur est moindre : 60 millions d’euros en 1994 pour un chiffre d’affaires de 90 millions d’euros ; une cinquantaine de millions d’euros en 2004 pour un chiffre d’affaires de plus de 630 millions d’euros. Son mécanisme n’est pas comparable : en 1994, des obligations convertibles qui devaient être remboursées rapidement sous peine de perte du contrôle de la maison ; en 2004, un tel risque n’existe pas car après la recapitalisation du Monde SA, LMPA contrôlera celle-ci à hauteur de plus de 60%.
Différente par son ampleur et son mécanisme, cette recapitalisation ne dérogera pas à notre philosophie commune : choisir nos partenaires et nos alliés professionnels, français et européens, à l’image de la collectivité des actionnaires qui nous accompagnent depuis dix ans.
Filialisation juridique et renforcement financier constituent de nouvelles garanties pour Le Monde. Il pourra engager ainsi sa propre relance. Elle se fera dans l’indépendance, cette indépendance qui est mon obsession depuis dix ans, le point de repère intangible.
Ma conviction est que Le Monde a besoin de se mobiliser - ou de se remobiliser - autour d’un projet éditorial renouvelé. La mobilisation doit être générale. Chacune et chacun a le droit et le devoir de faire entendre sa voix. Le plus tôt possible, l’ouverture d’une réflexion devrait conduire à une véritable refonte : nous devons partir du principe que nos lecteurs ont raison d’exprimer une exigence plus grande à notre égard. Leur insatisfaction est l’expression d’une attente que nous devons considérer légitime. Le quotidien doit se rénover pour conquérir et reconquérir les lecteurs qui lui font défaut. Les maîtres-mots de cette rénovation sont rigueur, expertise, vigueur éditoriale, respect et animation du pluralisme des idées. Je veillerai au mariage de toutes ces exigences.
Parallèlement à cette relance éditoriale, la politique commerciale doit être repensée. En effet, c’est le modèle économique de la presse quotidienne nationale qui est en crise et en cause. Il est pris en tenaille entre l’explosion des gratuits et le développement exponentiel du net. En conséquence, la politique commerciale ne peut être redéfinie indépendamment d’internet. Et réciproquement. Inévitablement, cette double réflexion conduira à une clarification et à une redéfinition des relations entre Le Monde et Le Monde.fr.
Ce que je propose aujourd’hui, c’est une refondation du projet collectif du Monde. Nos armes sont la cohésion et la mobilisation. Nous ne pouvons plus nous contenter de regarder le chemin parcouru en dix ans. Sous la contrainte et dans l’adversité, nous avons collectivement surmonté l’épreuve de 1994, nous avons mené à bien un projet éditorial, nous avons hissé le journal au plus haut, nous avons attiré autour de lui d’autres titres de qualité. Nous étions dans le prolongement de notre histoire passée. Nous devons garder ce fil. Sans y être infidèle, il s’agit maintenant d’écrire une nouvelle page de cette histoire. Les défis qui nous attendent sont inédits.
Comme toujours, lorsque des questions méritent débat, j’en discuterai avec l’ensemble des personnels ; dès la semaine prochaine pour la maison Monde ; d’ici la fin de l’année avec les autres entités du groupe, selon les souhaits de leurs sociétés de personnel.
La communauté de travail du quotidien a été légitimement troublée par l’annonce d’efforts négociés sur l’emploi. Sa communauté d’esprit a été forcément blessée par les critiques qui nous ont été faites de l’extérieur. De belles paroles, je le sais, ne suffiront pas à effacer ce trouble et ces blessures. C’est pourquoi je vous propose de bâtir une nouvelle communauté de destin, afin de réparer ce qui doit l’être dans notre communauté de travail et d’insuffler une nouvelle ambition à notre communauté d’esprit.
Jean-Marie Colombani
Le 25.11.04