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« Carnets intermittents »

jeudi 13 mai 2021

Pas facile de vivre dignement de son art, de fuir les logiques de l’argent ou de trouver un boulot pérenne dans le monde du spectacle – surtout quand le secteur est à l’arrêt, considéré comme « non essentiel » depuis le début de l’épidémie de Covid-19. C’est pour raconter ce quotidien en temps de crise et les réflexions qu’il suscite que des adhérent·e·s du SIPMCS prennent la plume dans ces « Carnets intermittents ». Pour se raconter, aussi, et ne pas laisser à d’autres le soin de faire le récit de nos vies.

Carnet (1/…) : « Sympathie en musique improvisée »

J’aime la musique. Je la joue en percussions. Guidé par cet amour et par ma jeunesse, je suis les préceptes de mes modèles musicaux  : les professeurs du conservatoire. Après avoir pris plaisir à ouvrir mes oreilles et à libérer mon corps, il se trouve que l’on me demande finalement de ne pas trop m’ouvrir et de ne pas trop me libérer.

En effet, me dit-on, il faut conserver la bonne culture, la culture vraie, celle qui sert de terreau à l’Art  : la culture classique avec ses orchestres et sa musique de chambre. C’en est bientôt trop pour moi, je fuis.

Dans mes errances, je sympathise avec les musiques improvisées. Pour ce qui est de l’emploi, il n’y a pas grand-chose à en dire. Je m’adresse à la CAF, qui m’assure un revenu, mais pas vraiment en qualité d’artiste.

Que faire, alors  ? Tout d’abord, il faut répéter, à plusieurs de préférence, ce qui est compliqué lorsque les lieux artistiques ouvrent difficilement leurs portes et que les prix de location de studios équipés sont bien trop élevés. Ensuite, lorsque la musique est assez prête, il est temps de se tourner vers les salles de concerts. Cela nécessite alors des compétences de communication, de diffusion et de production  : CD enregistré en studio, teaser vidéo, photos et visuels, listes de diffusion, démarchages, rencontres et négociations, recherches de financement… Pour se développer, il faut une structure juridique  : association loi 1901 en ordre de bataille qui s’occupera des démarches administratives et comptables.

Mars 2020, la crise arrive. Pour cause de télétravail, il faut investir dans des caméscopes, à défaut de caméras, se former tant bien que mal au montage vidéo et s’essayer au concert filmé. En parallèle, il faut s’atteler à la rédaction de nombreux dossiers artistiques pour finalement effectuer des résidences de répétition ou de création dans des lieux qui, à défaut d’accorder des financements, soutiennent en mettant à disposition des espaces de travail.

Les musiques d’ensemble deviennent des solos, les formes déambulatoires se transforment en formes fixes, les concerts acoustiques deviennent des spectacles audiovisuels. L’angoisse est là, les maux de ventre aussi. Et puis finalement la crise me fige… Des questions qui m’habitent depuis plusieurs années finissent par resurgir.

Comment se fait-il qu’il est si difficile de vendre des concerts de musiques populaires non soumises au divertissement, si chaleureuses dans leurs mélodies et dans leurs danses  ?

Comment se fait-il qu’il est si difficile de vendre des concerts de musiques créatives empreintes de cultures camerounaises, si profondes dans leurs expérimentations rythmiques  ?

Toujours est-il qu’aujourd’hui, en tant que musicien bercé par les luttes pour une société créative, multiculturelle et artistiquement audacieuse, je me sens bien loin du grand Art et de ses divines créations.

Gaspar