Un syndicalisme autogestionnaire et sans permanent

Accueil > Précarité > CLP : requalification en pigiste

SIPM

CLP : requalification en pigiste

mardi 19 avril 2005

Une correspondante locale de presse d’Ouest France demande a étre requalifiée comme salariée pigiste.

Le statut de correspondant local de presse dissimule parfois des situations pas très conformes au statut. Pour la première fois à Ouest France, une de ces correspondantes demande aux prud’hommes de trancher le litige

Embauchée en septembre 1992 par la rédaction d’Ouest France, Jeanne* aura été employée onze ans pour rendre compte du suivi quotidien des affaires passant en correctionnelle au tribunal. Pour les cinq audiences par semaine, elle est rémunérée 144 F l’après-midi, qu’elle dure trois ou huit heures. Jeanne a fini par assigner Ouest France aux prud’hommes. Rémunérée comme correspondante locale de presse, elle demande requalification de son contrat de travail en un emploi salarié. Ouest France conteste fermement sa revendication. L’issue du procès pourrait bien servir d’exemple.

Droits d’auteurs qui fâchent

En 2001, Jeanne découvre ses articles repris sur deux sites Internet d’Ouest France, dont un payant. Personne ne lui a demandé son avis. Elle a encore moins signé un accord prévoyant une rétribution. Pour faire valoir ses droits d’auteurs sur Internet, qui lui sont dus au titre de la propriété intellectuelle de tout écrit, elle adresse une lettre recommandée au journal qui prend très mal la requête. Sans la prévenir, elle découvre qu’à son retour d’arrêt maladie, elle n’a plus sa place. Elle a été remplacée, sans qu’on la prévienne. Puis Ouest France fait machine arrière, qui confie à nouveau le suivi des audiences, tout en lui laisse miroiter une possible intégration comme journaliste titulaire. Cette politique de la carotte est un grand classique dans la maison. Les entretiens d’embauche au siège du journal à Rennes ne connaissent en fait aucun débouché. Sentant peut-être que la revendication des droits d’auteurs pourrait occasionner des demandes en cascades, Ouest France octroie royalement une prime de 21,75 euros par an à chaque correspondant, pour la reprise de ses textes en ligne. Pour ces textes repris sans autorisation ni rétribution, une autre procédure est en cours (à Paris ) pour la reconnaissance de ses droits patrimoniaux

A l’audience des prud’hommes de Nantes, le 24 mars 2005, Théo Le Diouron, directeur de l’information locale et donc en charge de l’armée des correspondants de tout l’empire, vient expliquer que son journal, magnanime, est le seul en France à avoir cette bonté d’âme, allouer cette somme pour reprise sur Internet des textes des correspondants. Mais " la loi ne nous en fait pas obligation. C’est juste une continuité avec les dispositions paritaires négociées avec les journalistes professionnels permanents ".

Les conseillers prud’homaux appellent ça une prime, mais Théo Le Diouron n’aime pas ce mot : pour lui, c’est juste une " gratification ". En, fait admettre le principe d’une prime irait trop à l’encontre du statut de CLP et ramènerait à l’idée d’une subordination de salarié. Danger. Ce genre de bavure de langage qui peut coûter cher. Ouest France tient donc sa langue.

Pourtant, le lien de subordination qui fonde le statut de salariée semble patent. Jeanne travaille avec du matériel fourni par le journal : ordinateur, modem et logiciels. Elle a un lieu de travail unique, qu’elle ne choisit pas. Elle est payée au forfait, quel que soit le nombre d’articles rédigés pour l’après-midi de travail. Elle a une astreinte de temps avec des horaires fixes dictés par les audiences chaque après-midi. Parfois elle a dû patienter jusqu’à 2 h du matin. Devant la surcharge de travail, le journal a recruté une autre correspondante , chargée de prendre le relais à partir de 17 h. L’employeur doit se méfier : aucune directive n’est donnée par écrit, aucun planning ne précise les audiences à suivre précisément. Tout se fait par oral, par téléphone.
Curieusement, l’avocate d’Ouest France n’a pas soulevé l’incompétence du tribunal des prud’hommes. Elle soutient pourtant que Jeanne était travailleuse indépendante, ce qui devrait pourtant disqualifier les prud’hommes pour juger un litige de prestation de service. Mais, généralement, les instances prud’homales ne sont pas dupes et récusent ce genre d’objection. Jugement rendu le 23 juin prochain.

* le prénom a été changé


Mémo : Ouest France et les CLP

 5 fois plus de correspondants que de journalistes
 Les 42 éditions d’Ouest France sont réalisées par 553 journalistes et 2635 correspondants, considérés officiellement comme travailleurs indépendants. Les rencontres sportives, la chronique des quartiers, le suivi de la vie étudiante, les galettes des rois, les réunions de bureaux des associations du coin, la vie des communes rurales sont ainsi couverts par des non salariés directs du journal.

Pour relever du statut officiel de « correspondant local de presse », leur activité doit être accessoire, et leur revenu intervenir en complément de leur ressources principales. La paye, officiellement en honoraires, est modeste mais, selon Ouest France, il y a des gratifications immatérielles : la fierté de voir sa prose publiée, « un bon entraînement à l’écriture » et le sentiment de se hisser au rang des notables locaux, tout en se permettant d’« enrichir sa vie sociale »*. Pourvu qu’il n’aient pas d’impôts supplémentaires à payer pour cet enrichissement. En fait, ce statut de correspondant, applicable uniquement dans la presse quotidienne et hebdomadaire régionale (PQR & PHR), bénéficie d’un arrangement fiscal le rattachant au régime des non-salariés. Les revenus engendrés ne sont pas imposables s’ils demeurent inférieurs à 15 % du plafond annuel de la Sécurité Sociale, soit 4 528 euros par an en 2005. Au-dessus de cette somme, le correspondant doit s’immatriculer et cotiser auprès de l’Ursaff en tant que profession libérale.

D’après les textes légaux, le correspondant devrait se contenter d’apporter des informations brutes, mises en forme, rédigées par des journalistes permanents et professionnels. La réalité est toute autre. La copie rédigée est bien relue, ni plus ni moins que celle des journalistes, avant que le secrétariat de rédaction ne corrige, ne précise ou ne modifie des passages, n’intervienne sur des éléments, change le titre.

* Particule n° 9, février 2002