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Audrey Azoulay et les députés PS sacrifient l’archéologie pour trouver un accord avec la droite sénatoriale
mercredi 22 juin 2016
Communiqué CNT-CCS – SGPA CGT-Culture - SUD Culture Solidaires - Snac-FSU.
Mercredi 15 juin se tenait la Commission mixte paritaire (CMP) sur le projet deLoi relative à la liberté de la création, à l’architecture et au patrimoine. Les 2 lectures à l’Assemblée nationale et au Sénat avaient montré de nettes divergences notamment en ce qui concerne l’archéologie préventive. Rappelons que ce projet de loi avait pour but de remédier en partie aux dérives pointées notamment par le rapport Faure et qui minent le secteur de l’archéologie depuis plusieurs années.
Conséquences pour la sauvegarde du patrimoine archéologique français : des chantiers bâclés par une politique du moins-disant financier engendrée par une concurrence commerciale exacerbée, conditions de travail qui se dégradent avec des centaines d’archéologues au chômage, distorsion de concurrence par l’utilisation du Crédit impôt recherche, etc ...
Malheureusement, le gouvernement et les députés PS de la commission Culture ont choisi de privilégier d’autres parties du projet de loi et ont donc laissé à la droite le soin de conclure sur le sujet, balayant ainsi tout le travail réalisé depuis 4 ans pour l’intérêt général et cédant ainsi aux intérêts particuliers portés par le Sénat. Voici les principaux reculs actés par la CMP.
Disparition de la maîtrise d’ouvrage scientifique de l’État au profit d’une maîtrise scientifique de l’État.
Cette suppression est loin d’être anecdotique car elle montre une fois encore le renoncement du parti socialiste à traiter les problèmes sur le fond. Car si aujourd’hui des centaines d’archéologues n’ont plus de travail, c’est bien que la concurrence commerciale exacerbée entraîne une course au moins-disant scientifique et financier. Moins de moyens pour réaliser des fouilles entraînent forcément moins d’archéologues sur les terrains et moins d’études spécialisées réalisées par la suite et donc un chômage en masse pour les archéologues précaires... et c’est la sauvegarde même du patrimoine archéologique national qui est en danger.
Cela a été rendu possible car la loi de 2003 a transféré la maîtrise d’ouvrage des fouilles qui incombait à l’État aux aménageurs. Le transfert aux aménageurs, dont le seul intérêt est que la fouille qui leur est imposée coûte le moins cher et soit réalisée le plus vite possible, est la source même du dumping social et scientifique qui mine le secteur. Sans revenir malheureusement à une maîtrise d’ouvrage complète de l’État (seul à même de garantir que la qualité scientifique des opérations soit au cœur du choix de l’opérateur), cette maîtrise d’ouvrage scientifique déterminait bien que c’était la maîtrise d’ouvrage qui était au cœur du problème et que l’État devait la réinvestir. En supprimant le terme « d’ouvrage », la commission mixte paritaire (CMP) a choisi un positionnement purement idéologique et très libéral.
Crédit impôt recherche (CIR).
Aujourd’hui les entreprises privées profitent d’un effet d’aubaine en diminuant les coûts des fouilles facturés aux aménageurs par la perception à outrance du CIR (le CIR représente pour certains opérateurs plus de 20% de leur chiffre d’affaire...rien que ça !). Ainsi, il existe une forte distorsion de concurrence entre opérateurs publics et opérateurs privés. Pour répondre à cette situation, les députés avaient donc introduit dans la loi un amendement visant à restreindre les dépenses éligibles au CIR. Cet amendement voté par 2 fois par l’Assemblée nationale contre l’avis du gouvernement n’a pas été retenu par la CMP. D’après la ministre de la Culture, le ministère de l’enseignement supérieur et de la recherche est en train de définir une doctrine fiscale pour limiter cette utilisation abusive du CIR en archéologie. Quand on voit qu’il a fallu le rétablissement de cet amendement en 2ème lecture à l’AN pour que le MESR s’excite un peu sur le sujet, le rejet de cet amendement par la CMP risque fort de mettre un terme à l’établissement d’une doctrine fiscale... A Valois, au ministère de la Culture, encore une fois, on nous dira : c’est pas nous, c’est Bercy et le MESR !... Et les libéraux qui clament une concurrence commerciale libre et non faussée... consternant !
Disparition du monopôle de l’Inrap sur les fouilles subaquatiques et sous marines.
Ce monopole voulu par le ministère concerne des opérations rares mais dangereuses. Cette petite restriction au « marché » des fouilles avait pour but de préserver non seulement la qualité des opérations, mais surtout la sécurité des archéologues plongeurs en ne les soumettant pas à la merci d’opérations remportées à prix cassés... La CMP a donc préféré œuvrer pour la sacro-sainte liberté de concurrence plutôt que pour la sécurité des archéologues ... Les personnels apprécieront !
Restriction territoriale des habilitations des services de collectivités territoriales.
En remplaçant l’agrément pour les fouilles par une habilitation pérenne pour les services de collectivités territoriales, le projet de loi reconnaissait l’implication de certaines collectivités territoriales (une soixantaine sont aujourd’hui agréées) dans le domaine de l’archéologie préventive. Toutefois dans le projet porté par l’Assemblée nationale, cette mesure était assortie d’une restriction territoriale (pouvant être levée au cas par cas sur des projets scientifiques) au territoire de la collectivité dans le but d’éviter une concurrence commerciale entre services publics et notamment comme cela a été déjà le cas entre différents services de collectivités. De fait, cette situation devait permettre de placer les services publics plutôt dans des démarches de collaboration et de complémentarité. La CMP en étendant le champ de l’habilitation à la région, a fait le choix de ne pas entraver une concurrence commerciale entre services publics. Cette vision à court terme, qui peut paraître plus favorable à ces services risque fort de se retourner contre les archéologues eux même. A l’heure où les restrictions budgétaires vont bon train, avec cette nouvelle disposition il va être demandé aux services d’être rentables et ils seront encouragés à aller à la pêche aux marchés au nez et à la barbe d’autres services publics... À force de vouloir le beurre et l’argent du beurre, les services de collectivités s’exposent fortement à devenir tributaire d’une archéologie marchande et de moins en moins fondée sur des projets patrimoniaux locaux. Sans parler des conditions de travail qui risquent fortement d’évoluer dans certains services, car il faudra passer en budget annexe pour jouer à la petite entreprise privée et partir en grand déplacement sur toute la région... Une disposition clairement mise en place pour servir les présidents de collectivités qui, ne l’oublions pas, sont aussi des aménageurs et détiennent tout pouvoir sur leurs services.
Conseil national de la recherche archéologique (CNRA) et commissions territoriales de la recherche archéologique (CTRA, anciennes CIRA).
En reprenant la disposition du Sénat qui inscrit dans la loi que chaque catégorie d’opérateurs doit être représentée au CNRA et dans les CTRA, la CMP a décidé de transformer les instances nationales d’évaluation scientifique de l’archéologie en instances politiques, ce qui va considérablement affaiblir leurs avis... Et ça ne choque personne que des personnels d’entreprises privées, avec la pression que va exercer sur eux leur patron, puissent se prononcer sur l’agrément de leur entreprise ou d’une entreprise concurrente ?? En tout cas, ça ne semble gêner, ni la ministre ni les députés PS, et tant pis pour les conflits d’intérêts... ça promet de belles batailles juridiques et surtout des mandats difficiles à tenir pour les collègues d’institutions publiques qui devront subir une pression monstrueuse lors des séances...
Malheureusement, la loi qui voit le jour aujourd’hui sera loin d’endiguer les dérives qui mettent le dispositif français en danger et qui jettent des centaines d’archéologues au chômage. Car ne nous leurrons pas, dans un « marché » fermé le développement des uns se fera aux détriments des autres... La ministre de la Culture et le président de la commission Culture de l’Assemblée nationale, Patrick Bloche, ont choisi clairement d’ignorer la situation. Pire encore, ils ont laissé à la majorité sénatoriale de droite le soin de consolider la marchandisation de l’archéologie préventive au détriment de la sauvegarde du patrimoine archéologique et de ses personnels.
L’intersyndicale archéologie (CGT/SUD/FSU/CNT) continue à lutter contre la marchandisation de l’archéologie synonyme de dumping social et scientifique.
Elle appelle l’ensemble des personnels à se mobiliser contre les politiques libérales du gouvernement et, les 23 et 28 juin prochains, à rejoindre les actions contre le projet de loi El Khomri.
Paris, le 22 juin 2016